CINÉMA (Réalisation d'un film) Musique de film
La musique du muet
Selon l'importance de la salle, tant en matière de chalandise que de capacité et de hiérarchie, les moyens de diffusion de la musique étaient divers. Il pouvait s'agir d'un simple appareil de reproduction mécanique, tel le Gramophone, ou bien, et généralement, d'instrumentistes auxquels venait parfois s'adjoindre, avant l'usage des intertitres, un bonimenteur qui pouvait être l'« aboyeur » chargé de la parade, voire un ou deux « bruitistes ». La mémoire populaire et historienne a retenu la légendaire figure du pianiste. Si celui-ci a fourni la majorité des musiciens de salles, il y eut d'autres solistes, notamment l'organiste dont l'instrument possédait une grande variété de timbres et permettait parfois des bruitages tels que coups de feu et trompes de voitures. Cependant, quantité de salles entretenaient de petites formations qui allaient du trio à l'orchestre de fosse, en passant, après la guerre, par le jazz-band, certaines salles d'exclusivité ayant même recours à l'orchestre symphonique, comme ce fut le cas pour la Sinfonia del Fuoco d'Ildebrando Pizzetti (1880-1968), écrite pour baryton solo, chœur mixte et orchestre symphonique, qui accompagne une séquence de Cabiria de Giovanni Pastrone (1913).
Les types de musiques jouées étaient eux aussi des plus divers. Le musicien unique avait la possibilité d'improviser. En fait, il s'agissait le plus souvent de semi-improvisations faites d'un amalgame d'emprunts au répertoire, savant ou populaire, et d'airs à la mode soudés les uns aux autres, avec plus ou moins de bonheur, par des motifs « originaux ». Dans le cas d'un orchestre de fosse, le directeur musical se faisait d'abord projeter le film en prenant des notes et sélectionnait ensuite les œuvres qui lui semblaient appropriées. Certaines salles avaient ainsi la préférence de la critique, en raison de la pertinence des choix musicaux et de la qualité de l'interprétation. À cette méthode, qui n'était praticable que dans des cinémas prestigieux disposant des moyens matériels adéquats, s'en substitua une autre, au lendemain de la Première Guerre mondiale, plus économique et commode : le recours à des recueils d'« incidentals » constitués de motifs de quelques mesures, classés par catégories dramaturgiques (Amour, Bataille, Mystère, Religion, etc.), et qui étaient soit expressément composés, comme la fameuse Kinothek (1919) de Giuseppe Becce (1877-1973), soit le résultat d'arrangements – « criminels » selon un de leurs auteurs – d'œuvres du domaine classique, tels les Motion Picture Moods for Pianists and Organists (1924) et l'Encyclopaedia of Music for Pictures (1925) d'Erno Rapee (1891-1945).
Ce principe fut repris par certaines sociétés de production, inquiètes des choix aberrants de musiciens de salles, comme en témoigne celui d'un orchestre anglais d'accompagner la course de chars de The Queen of Sheba de J. Gordon Edwards (1921) par un air populaire à la mode, Thanks for the Buggy Ride (littéralement : « Merci pour la promenade en calèche »). Avec les bobines du film était alors livré un guide sur lequel figuraient, suivant la chronologie du récit, la situation ou l'intertitre à partir duquel devait commencer la musique, la durée pendant laquelle elle devait être jouée, l'atmosphère de la scène à laquelle elle devait se référer, le tempo sur lequel elle devait être exécutée et deux ou trois suggestions d'œuvres convenant à la scène, les unes libres de droits, les autres non.
L'ultime recours des producteurs et des réalisateurs fut évidemment la partition originale. En fait, nombre d'entre elles furent des compilations d'œuvres préexistantes, arrangées ou non et, généralement, réorchestrées pour des raisons pratiques. Ainsi, les[...]
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Écrit par
- Alain GAREL : critique et historien de cinéma, professeur d'histoire du cinéma
Classification
Médias
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