CINÉMA (Réalisation d'un film) Musique de film
Les révolutions
Dans les années 1930, seules quelques individualités avaient œuvré à l'écart des courants dominants. Dans les années 1940, l'appréhension de la musique se modifia. Les causes en furent diverses : les soubresauts de l'histoire, l'évolution des techniques du son et sa maîtrise artistique, la venue d'une nouvelle génération de cinéastes, celle des années 1930 ayant été essentiellement constituée de personnalités dont la carrière avait commencé au temps du muet.
Aux États-Unis, le premier changement notoire fut l'œuvre de Bernard Herrmann (1911-1975), que rien ne distinguait de ses prédécesseurs : comme eux, il était de culture Mitteleuropa, avait été un jeune prodige et commencé son activité professionnelle comme chef d'orchestre et orchestrateur à Broadway. Il n'a d'ailleurs pas totalement rompu les ponts avec eux : « Sa musique est totalement européenne, non américaine, dans son orientation, précise Christopher Palmer, et de ce fait au moins il est extérieurement conforme au stéréotype hollywoodien. » En outre, il demeurera attaché, sauf exception, à la formation symphonique et au principe du « beaucoup de musique ». Mais la fonction qu'il lui attribua, et qui visait, au moins dans sa collaboration avec Alfred Hitchcock (de Mais qui a tué Harry ?, 1955 à Pas de printemps pour Marnie, 1964), à dire ce que ne disent pas les images, tranchait radicalement avec le concept dominant.
Si, dans les années 1940, des compositeurs, en exercice selon le modèle hollywoodien, parvinrent à écrire des partitions dans un langage plus avancé que celui habituellement pratiqué, c'est dans les années 1950 que se fit une révolution sous l'égide de trois hommes : Elmer Bernstein, Alex North et Leonard Rosenman, qui rompirent avec la tradition musicale des studios qui, il est vrai, étaient en train de disparaître. Alex North (1910-1991) intégra le jazz à la musique de fosse pour A Streetcar named Desire (Un tramway nommé Désir) d'Elia Kazan (1951), Elmer Bernstein (1922-2004) rejeta l'orchestre symphonique au profit d'une petite formation pour Sudden Fear (Le Masque arraché) de David Miller (1952) et Leonard Rosenman (1924-2008) usa des dissonances pour East of Eden (À l'est d'Eden) d'Elia Kazan (1955), alors que Jerome Moross (1913-1985) introduisait de la rythmique syncopée dans le western avec The Big Country (Les Grands Espaces) de William Wyler (1958) et Henry Mancini (1924-1994) la rythmique latino-américaine avec Touch of Evil (La Soif du mal) d'Orson Welles (1958).
Pareille révolution eut lieu aussi en Europe. En France, elle fut beaucoup moins nette, parce qu'il y avait eu des précurseurs. Comme aux États-Unis, les années 1940 constituèrent une période de transition durant laquelle s'illustrèrent des artistes, dont certains avaient déjà écrit pour le cinéma durant la décennie précédente, tels que Tony Aubin, Yves Baudrier, Guy Bernard, René Cloerec, Jean Françaix, Jean-Jacques Grunenwald, Marcel Landowski, Henri Sauguet, Maurice Thiriet et Joseph Kosma, qui fit de la chanson un élément organique de la bande sonore. La radicalisation s'accomplit donc aussi dans les années 1950 avec une nouvelle génération de compositeurs, en même temps que s'affirmaient de nouveaux cinéastes qui bousculaient les habitudes, tant en matière de condition de tournage que de narration et de syntaxe cinématographiques.
À cette conjoncture historique s'additionnèrent des composantes tant artistique qu'économique. Artistique, car les compositeurs qui collaboreront avec les auteurs de la Nouvelle Vague ou apparentés, Georges Delerue, Antoine Duhamel, Maurice Jarre, Michel Legrand, Maurice Le Roux, Jacques Loussier, Michel Magne, Jean Prodromides et François de Roubaix, firent, à l'exception de Pierre Jansen, leur entrée dans la musique[...]
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Écrit par
- Alain GAREL : critique et historien de cinéma, professeur d'histoire du cinéma
Classification
Médias
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