CINÉMA (Réalisation d'un film) Photographie de cinéma
Les fonctions de la lumière « en » cinéma
Quoique la caméra ait pu être définie, du point de vue purement théorique, comme une machine à reproduire strictement la réalité sans intervention de l'homme (André Bazin, Siegfried Kracauer), il devient très vite évident qu'il n'existe pas de reproduction objective de la réalité, tant sont nombreux les paramètres qui entrent en jeu dans la prise de vues cinématographique : « La notion même d' exposition juste, donc de rendu exact des brillances, est un leurre, écrivent Charlie Van Damme et Ève Cloquet. Aucune pellicule au monde n'est capable d'enregistrer les écarts de brillance que propose la nature et que l'œil peut différencier. » Très vite, l'illusion d'une reproduction mécanique du réel se dissipa, en même temps que les vues documentaires des premiers temps cessaient de fasciner le public. Le cinéma se tourna alors vers la narration et le drame. Cela ne fit pas disparaître le rôle capital de la lumière, bien au contraire. « Sans lumière, pas d'image », rappelle Jacques Loiseleux, en même temps qu'il définit les trois fonctions étroitement imbriquées de la lumière non pas « au » cinéma, mais « en » cinéma (pour rappeler qu'elle est la base de ce « septième art »). « La première est technique. C'est la quantité et la qualité des rayons lumineux du soleil ou d'une source artificielle que l'on quantifie, et que l'on qualifie à l'aide de termes précis : elle est choisie, mesurée, colorée, dirigée, dégradée, polarisée [...]. La deuxième signification est d'ordre psychologique, parce qu'elle peut être considérée comme la représentation des valeurs émotionnelles qu'elle produit sur nous dans le réel. [...] „Faire la lumière“ au cinéma, c'est participer au déroulement de l'histoire que raconte le réalisateur, en maîtrisant les émotions qu'elle produit, son effet sensible sur les corps et les visages, sur les décors et les objets. [...] La troisième signification du mot „lumière“ au cinéma est culturelle. Pour construire la lumière d'une scène, le directeur de la photographie fait appel à sa mémoire cognitive, à son observation du réel, mais aussi à sa culture esthétique, à ses références à la peinture, à la photo, à la littérature, voire à la musique, au langage, à l'architecture. [...] La lumière d'un film n'est pas un hasard, c'est un choix où entrent en jeu toutes les articulations possibles entre perception, émotion et connaissance » (J. Loiseleux).
C'est ainsi que s'est instauré une remarquable collaboration entre des réalisateurs et des opérateurs, les seconds réalisant techniquement ce qu'imaginaient les premiers. L'une des plus fructueuses de ces collaborations s'établit entre David Wark Griffith et l'opérateur Billy Bitzer. C'est en 1909 que ce dernier, d'abord réputé pour la qualité de son image – luminosité et clarté, piqué de l'objectif –, utilise pour la première fois un effet de contre-jour. Il n'invente pas le gros plan, mais pousse Griffith à le systématiser pour des effets dramatiques. Il imagine en revanche le principe d'ouverture et de fermeture de l'iris et, par là, du fondu, ainsi que celui du soft-focus (trame placée sur l'objectif adoucissant les contrastes de la pellicule orthochromatique) comme il expérimente l'éclairage à la bougie plus de soixante ans avant Barry Lyndon. Globalement, le couple Griffith-Bitzer invente, de 1909 à 1915, l'éclairage dramatique. Il s'agit, selon Jacques Aumont, de « singulariser certaines zones de l'image, et de la scène, par un éclairage approprié, [de] souligner significativement certains éléments, [...] d'échapper avant tout à la malédiction de l'éclairage « plat », sans contrastes[...]
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
Classification
Médias
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