CINÉMA (Réalisation d'un film) Photographie de cinéma
La dramatisation de l'image
C'est autour de 1915 que se généralise la possibilité de recourir entièrement à l'éclairage artificiel. Il n'est guère surprenant, dès lors, que ce ne soit plus sur la côte ouest des États-Unis que se produisent de véritables révolutions en matière de photographie mais plutôt dans des pays moins favorisés par l'ensoleillement, comme les pays nordiques et l'Allemagne. L' expressionnisme allemand fut en effet la première grande école cinématographique à donner à la lumière une importance capitale. « Lorsque le cinéma devint un art, note Lotte Eisner, il était tout naturel qu'il profitât des découvertes de Max Reinhardt, qu'il utilisât le clair-obscur, qu'il montrât, tombant d'une haute fenêtre, ces nappes de lumière dans un intérieur. [...] Ce célèbre clair-obscur du cinéma allemand n'a pas pour seule origine le théâtre de Max Reinhardt. Ne négligeons pas l'apport des cinéastes nordiques et surtout danois, qui envahirent les studios allemands, tels Stellan Rye, Holger Madsen ou Robert Dinensen. Ils y apportèrent, avant même que le style expressionniste ne soit défini, leur amour de la nature et leur goût du clair-obscur. »
La lumière expressionniste est la conjonction de la tradition romantique de la lumière goethéenne, « lumière vivante », « habitée » comme le rappelle Fabrice Revault d'Allonnes, « qu'exacerbe encore le contexte historique » de la Première Guerre mondiale, et d'une évolution de la technologie des éclairages permettant de recréer totalement, à la façon d'un démiurge, la lumière de l'univers du film : les arcs Kliegl, venus du théâtre, équipés de miroirs à facettes, complètent les lampes à mercure qui ne produisaient qu'une lumière d'ambiance. La possibilité de diriger les faisceaux lumineux, de les élargir ou de les concentrer permettait de créer des ombres et des contrastes inédits tant sur les visages ou les corps que sur les décors, les objets ou l'espace. L'utilisation dramatique, voire métaphysique, de la lumière (la lutte des Ténèbres et de la Lumière dans le prologue du Faust de Murnau, par exemple) était née. Rudolf Kurtz pouvait écrire en 1929 : « C'est l'aspect différencié des sources de lumière qui donne à l'art cinématographique sa force créatrice. Des moyens d'éclairage tels que le degré d'intensité et l'effet actinique de la source de lumière sont des facteurs stylistiques de premier ordre. Si l'on place la source de lumière pour ainsi dire au-dessous de la surface à filmer, certaines parties de l'image prennent des accents contrastés et criards, des ombres très nettes, un effet qui rend ces parties plastiques et estompe d'autres, qui disperse les lignes et/ou les raccourcit. [...] La lumière a insufflé une âme aux films expressionnistes. » Dans des cas limites, la lumière suffit alors à sculpter un visage ou créer un décor. C'est à l'évidence dans le studio que la lumière expressionniste trouve son plein épanouissement, ce que confirme le Kammerspiel, sorte d'expressionnisme intimiste.
Pourtant, certains cinéastes, tel Murnau (et son principal chef opérateur, Karl Freund), sauront transposer de façon convaincante les principes dramatiques de la lumière expressionniste dans des décors naturels (certains plans de Nosferatu, par exemple). Progressivement, chassés par la montée du nazisme, les Allemands s'exilent à Hollywood : les réalisateurs F. W. Murnau, Fritz Lang, G. W. Pabst, mais également les prestigieux chefs opérateurs de l'expressionnisme, Karl Freund, Fritz Arno Wagner, Eugen Schüfftan. Ils vont pour un temps transposer leur style dans les productions hollywoodiennes dont les visées sont d'ailleurs du même type : la dramatisation de l'image, donc de la lumière.[...]
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
Classification
Médias
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