CINÉMA (Réalisation d'un film) Scénario
Une histoire des histoires au cinéma
Le cinéma muet employait déjà le scénario préétabli, mais disposait d'une certaine marge pour le remanier après tournage, en modifiant simplement le texte des intertitres : véritable inclusion d'un texte écrit à l'intérieur du film, l'intertitre ne se bornait pas à donner l'essentiel des dialogues ; comme dans la bande dessinée, il jouait un rôle narratif, présentant les personnages, exposant les événements, et parfois dégageant la morale de l'histoire... Rares sont les films muets qui ont fait complètement l'économie de ce texte capable d'orienter, voire de déterminer, la signification narrative des images.
Les grands scénaristes vedettes du muet ont été Carl Mayer (scénariste de Murnau et du Kammerspiel, qui rédigeait ses scripts comme de véritables poèmes en vers libres, très visionnaires) et Thea von Harbou en Allemagne, Anita Loos et Clyde Bruckman aux États-Unis. Quand on était Chaplin et qu'on avait conquis sa totale indépendance financière et artistique, on pouvait se permettre le luxe de faire des « brouillons vivants » du scénario, en tournant directement toutes les idées de scène pour voir ce qu'elles donnaient ! Le cinéma numérique, et le tournage en « vidéo légère », en faisant baisser le coût de l'image enregistrée, ont récemment permis à des réalisateurs, même astreints à de petits budgets, de reprendre cette technique (Inland Empire, 2006, de David Lynch ; Still Life, 2006, de Jia Zhangke).
Naturellement, le parlant, en faisant entendre réellement la continuité des dialogues et en introduisant sur les tournages les contraintes de la prise de son, a obligé à planifier plus radicalement la réalisation des films, faisant du scénario préécrit un préalable indispensable. Dans les années 1930, cependant, le scénariste continua de rester dans l'ombre du metteur en scène et des acteurs : qu'il s'agisse de Samson Raphelson pour Lubitsch, de Jules Furthman pour Sternberg, de Ben Hecht pour Howard Hawks, de Dudley Nichols pour Ford... ou, en France, de Charles Spaak pour Renoir et Duvivier, ces noms restèrent peu connus du public. Mais, dès les années 1930, en France – un pays où le cinéma entretient plus qu'ailleurs des rapports très étroits avec la littérature –, on a vu des hommes de scène et de plume comme Pagnol, Guitry, Yves Mirande... s'instituer auteurs complets, scénaristes, dialoguistes et metteurs en scène de films où la parole non seulement constituait un élément du drame, mais formait la substance même du film. Ils ont fait du cinéma un art de la parole enregistrée. Quant à Jacques Prévert, son génie de scénariste dans sa collaboration avec Carné ou avec Renoir doit beaucoup à son talent de poète.
Aux États-Unis, il a fallu attendre les années 1940 pour voir survenir ce que Michel Ciment appelle l'ère des scénaristes, en association avec une évolution sociologique du public : le cinéma, en cherchant à attirer une clientèle plus aisée et plus cultivée, mettait en avant la qualité du texte et la complexité des situations psychologiques. On voit alors des scénaristes reconnus, comme Preston Sturges, Joseph L. Mankiewicz, Billy Wilder, John Huston, passer à la mise en scène pour mieux défendre et mettre en valeur les histoires qu'ils écrivent. Les années 1940 hollywoodiennes resteront comme une époque où les sentiments des personnages et l'expression verbale atteignirent un grand raffinement, en accord avec une mise en scène fluide et discrète qui, ayant surmonté le choc du passage du muet au parlant, avait trouvé un nouvel équilibre idéal, fondé sur le rôle central des dialogues. Le film noir de ces années-là est, par exemple, largement un art du duel verbal.
Mais ce cinéma « idéal » était basé en même temps sur une série d'interdits verbaux, visuels[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Michel CHION : écrivain, compositeur, réalisateur, maître de conférences émérite à l'université de Paris-III
Classification
Médias
Autres références
-
ACTEUR
- Écrit par Dominique PAQUET
- 6 815 mots
- 2 médias
Aux débuts du cinéma, l'acteur ne paraît pas un instant différent de l'acteur de théâtre. Car ce sont les mêmes qui, dans les premiers films de Méliès, interprètent les textes classiques. De même, dans le cinéma expressionniste, la technique de monstration et de dévoilement de l'expression appartient... -
AFRICAINS CINÉMAS
- Écrit par Jean-Louis COMOLLI
- 1 131 mots
L'histoire des cinémas africains se sépare difficilement de celle de la décolonisation. Il y eut d'abord des films de Blancs tournés en Afrique. Puis, à partir des années soixante, les nouveaux États africains ont été confrontés au problème de savoir quel rôle, quelle orientation, quels...
-
ALLEMAND CINÉMA
- Écrit par Pierre GRAS et Daniel SAUVAGET
- 10 274 mots
- 6 médias
Le cinéaste Volker Schlöndorff a suggéré que l'histoire du cinéma allemand était faite d'une série de ruptures esthétiques mais aussi d'une grande continuité dans le domaine de l'industrie cinématographique. L'alternance entre les phases les plus inventives, comme celles des années 1918-1933, voire...
-
AMENGUAL BARTHÉLEMY (1919-2005)
- Écrit par Suzanne LIANDRAT-GUIGUES
- 758 mots
L'œuvre d'écrivain de cinéma de Barthélemy Amengual est considérable, autant par sa quantité (une douzaine d'ouvrages et une multitude d'articles) que par l'acuité de son propos. Comparable aux meilleurs analystes français de sa génération (tels André Bazin ou Henri...
- Afficher les 100 références