CINÉMA (Réalisation d'un film) Scénario
La dramaturgie cinématographique
L'art du scénario ne date pas du cinéma, et la théorie dramaturgique est bimillénaire, puisque son texte le plus prestigieux et le plus ancien en Occident est la Poétique d'Aristote, dont bien des préceptes restent valables pour le cinéma, et sont utilisés consciemment ou inconsciemment par les scénaristes actuels. En même temps, le cinéma a développé des procédés dramaturgiques spécifiques, qu'ont tenté de mettre par écrit des manuels et des travaux théoriques. Et ces procédés sont liés à certains types d'histoire.
Par sa nature, le cinéma prédispose à certains genres : à l'aventure et au mouvement, mais aussi aux histoires qui nous font découvrir un monde différent, magique, ou à celles qui mettent en relation l'homme et son cadre urbain ou naturel. Le cinéma magnifie volontiers, plus peut-être que le théâtre ou le roman, le héros solitaire, cow-boy justicier ou marginal paumé. Il est également favorable au mystère, parce qu'il donne une grande force et une grande présence à ce qu'il ne laisse qu'entrevoir. Au mystère, mais aussi au suspense, toujours en rapport avec l'idée de temps limité, bien plus sensible au cinéma (qui est à base de temps enregistré, à la microseconde près) que sur une scène : depuis le pionnier Griffith, un très grand nombre de films reposent sur l'idée d'une course contre la montre.
La grande particularité du film comme récit est que, contrairement au théâtre et au roman, les divisions scéniques ou dramatiques (changements d'actes, de tableau, de chapitre) n'y sont pas marquées comme telles, à l'exception des films à sketches chers au cinéma italien. Tout est censé se dérouler sans interruption ; mais, sous cette continuité apparente, on sera peut-être étonné d'apprendre que le scénariste a le plus souvent « dissimulé » une structure en trois actes : un acte d'exposition, un acte central de confrontation, un acte final de crise et de résolution heureuse ou dramatique. Division dramatique souvent conçue en même temps comme musicale : à un « mouvement » modéré ou rapide initial peut succéder un mouvement lent, et enfin un mouvement de nouveau rapide. Dans Les Trois Jours du condor, film d'espionnage de Sidney Pollack (1975) qui raconte l'odyssée d'un homme seul traqué par des tueurs, nous avons ces trois parties avec chacune son rythme : la première bourrée d'action et de suspense qui se passe le jour, au cœur de Manhattan ; la deuxième, située la nuit dans une rue isolée de Brooklyn, avec des scènes plus longues, notamment amoureuses ; la troisième, diurne et active, en plein Manhattan. La règle du jeu cinématographique appliquée jusque dans les années 1980 voulait que le public ne remarquât pas ces articulations, et se sente pris dans une continuité sans couture. À peine repérait-il plus nettement le début et la fin du film, qui souvent (mais pas obligatoirement) se bouclent en revenant sur le même cadre, le même lieu.
On différencie enfin souvent le théâtre du cinéma en disant que le premier est essentiellement verbal tandis que le second serait visuel et fondé sur l'« action ». Mais ce concept d'action est plus complexe qu'il y paraît. Par action au sens propre on entend souvent les poursuites, les combats. Or certains westerns, comme Rio Bravo de Howard Hawks, sont ressentis comme des films d'action au plein sens du mot alors même que les scènes de chevauchée, de duel et d'échanges de coups de feu y sont limitées au strict minimum. Leur action est en fait autant psychologique que physique et consiste en retournements de situations et de rapports de force, et en duels verbaux, comme au théâtre, mais avec cette différence que le cinéma permet d'incarner plus physiquement une action psychologique : il permet d'utiliser dramatiquement[...]
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Écrit par
- Michel CHION : écrivain, compositeur, réalisateur, maître de conférences émérite à l'université de Paris-III
Classification
Médias
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