RUSSE CINÉMA
. Le temps du réalisme socialiste
Le crépuscule des avant-gardes
À la suite du congrès de l'Union des écrivains soviétiques de 1934, qui a défini et approuvé les canons du réalisme socialiste en littérature, le premier congrès des cinéastes, en 1935, établit un idéal cinématographique autour de films qui marquent un retour à la « prose ». Tchapaev (1934), de Serguei et Georgui Vassiliev, vient de donner son premier succès international au réalisme socialiste. Eisenstein, symbolisant les excès des avant-gardes, est marginalisé et sommé de revenir au cinéma, bien que ses projets soient tous refusés depuis son retour du Mexique. Les autres cinéastes, Koulechov excepté, approuvent ce blâme. Le mot d'ordre est désormais le romantisme révolutionnaire, le héros positif. Mais la mutation n'est pas immédiate. Entre 1934 et 1936, Aérograd de Dovjenko et Garmon d'Igor Savtchenko, en Ukraine ; Pepo d'Amo Bek-Nazarov, à Tbilissi ; Au bord de la mer bleue de Barnet, en Azerbaïdjan, sont parmi les films les plus libres d'inspiration qu'on ait jamais faits. C'est autour de 1937, sous la direction de Boris Choumiatski (lui-même bientôt éliminé), que s'imposent les règles du cinéma stalinien, avec des épopées révolutionnaires standardisées : Les Marins de Kronstadt d'Efim Dzigan), La Dernière Nuit de Youli Raïzman (1937), Le Retour de Maxime de Kozintsev et Trauberg (1937). Certains réalisateurs sont victimes de la répression : parmi eux, Konstantin Eggert, Margarita Barskaia. D'autres, plus nombreux, sont empêchés de tourner ou se voient confier des tâches dérisoires, en particulier Koulechov et Vertov. Le deuxième film de Medvedkine, La Faiseuse de miracles (1936), est remanié. Il n'y en aura pas de troisième. Les film utopiste d'Abram Room, Un jeune homme sérieux (1936), écrit par Iouri Olécha, n'est jamais montré, tandis que Le Pré de Béjine, d'Eisenstein, est définitivement interdit après deux tournages.
Les cinéastes des années 1930 sont Grigori Alexandrov, qui invente la comédie musicale soviétique et révèle une star soviétique, Lioubov Orlova, et ceux qui illustrent les divers genres : biographies socialistes, inaugurées par Mikhaïl Romm avec ses deux Lénine, Lénine en Octobre et Lénine en 1918 (1937 et 1939), et dont font partie les biographies historiques illustrées par Eisenstein, films de kolkhoze, avec Ivan Pyriev, ou de sabotage (Komsomolsk, de Serge Guérassimov, 1938). Le temps est à l'optimisme forcé des chansons et marches d'Isaac Dounaevsky, (le compositeur des films d'Alexandrov) : « La vie est devenue meilleure, plus joyeuse ! » ou « Chacun de nous devient un héros quand le pays l'ordonne ! » Le stakhanovisme est opposé aux saboteurs (Une nuit en septembre, de Barnet, 1939 ; Une grande vie, de Leonid Loukov, 1940 et 1946).
Le cinéma soviétique est devenu une entité autosuffisante. De même que sa production est de moins en moins montrée à l'étranger, les spectateurs voient de moins en moins d'importations. Le rêve, au début des années 1930, de créer un Hollywood sur la mer Noire, ne s'est pas concrétisé, mais les studios ont élaboré un monde fictif qui satisfait son public. Les comédies musicales d'Alexandrov, ou campagnardes de Pyriev, sont discutées comme des films réalistes ; mais surtout, elles sont perçues comme telles par leurs spectateurs. Dans son rapport secret au XXe congrès, en 1956, Khrouchtchev dira de Staline : « C'est au travers des films qu'il connaissait la campagne, l'agriculture. Et le cinéma avait beaucoup embelli la réalité dans ce domaine. De nombreux films peignaient sous de telles couleurs la vie kolkhozienne que l'on pouvait voir des tables crouler sous le poids des dindes et des oies. Évidemment, Staline croyait qu'il en était effectivement ainsi. » Plus encore : les populations[...]
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Écrit par
- Bernard EISENSCHITZ : traducteur, historien du cinéma
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Médias
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