SUISSE CINÉMA
Le cinéma suisse est resté quasi confidentiel jusque dans les années 1960. Le metteur en scène le plus célèbre, Leopold Lindtberg, d'ailleurs né à Vienne en 1903 et décédé en 1984, était connu à l'étranger pour un seul film, La Dernière Chance (1945). L'essor d'une jeune production nationale a coïncidé dans le temps, dans les intentions et dans les moyens avec celui des jeunes cinémas canadien, tchèque, etc. On pourrait même dire que c'est au niveau des difficultés rencontrées que ces cinémas diffèrent le plus entre eux.
Un cinéma en prise directe sur une réalité sociale spécifique
Dans les années 1950, le développement rapide de la télévision amena en Suisse comme ailleurs une baisse rapide de la fréquentation des salles, cependant que le nouveau média semblait devoir absorber l'activité des cinéastes débutants ou déjà chevronnés – remarquables techniciens, voués en majorité au documentaire. Une osmose évidente s'imposait entre le « style télévision » et l'influence de la Nouvelle Vague française, plus forte qu'ailleurs dans ses méthodes de travail avec matériel léger, à la fois pour des raisons de proximité géographique et d'affinités personnelles. Godard, notamment, qui possède des attaches vaudoises et est retourné vivre en Suisse en 1979, a tourné Le Petit Soldat (1960) à Lausanne et s'est voulu ethnographe. C'est, en effet, une volonté d'ethnographie à domicile qui est au cœur des premiers essais du cinéma-vérité suisse.
Le mouvement se concrétise en 1964. Cette année-là, le vétéran du documentaire, Henry Brandt, fonde une Association des réalisateurs de films qui veut secouer l'indifférence des publics (il y a un public romand, un public alémanique, et ces dernières années ont vu paraître des films en italien) autant que la mesquinerie des pouvoirs. Dans cette association se trouvent déjà Tanner et Goretta.
La même année, Tanner tourne à Genève Les Apprentis, et A J. Seiler à Zurich Siamoitaliani. Deux films-enquêtes qui dérangent le confort moral ambiant mais marquent aussi les limites du genre.
En 1968, cinq cinéastes genevois lancent un groupe de coproduction télévision-cinéma. Idée féconde, car, jusqu'à la grève de 1971 qui révélera ses scléroses, la télévision est une institution libérale, excellente école de presque tous les metteurs en scène helvètes en même temps que lieu de confrontations aussi ouvertes qu'enrichissantes. Ces quelques années sont décisives, même si c'est « hors groupe » qu'Alain Tanner (1929-2022) produit et met en scène La Salamandre (1971) qui va servir de locomotive au cinéma suisse. Le film reste plus de soixante semaines en exclusivité à Paris et remporte un succès analogue au Canada et aux États-Unis.
Sélections dans les festivals et couronnes vont témoigner de l'engouement qui s'attache désormais aux jeunes cinéastes romands. En fait, l'infrastructure économique reste précaire. En 1973, par exemple, les subventions de la Confédération (pour les cinémas romand et alémanique réunis) se montent à deux millions de francs suisses en tout et pour tout. Encore ces subventions sont-elles critiquées par ceux qui dénoncent le caractère subversif des films qu'elles aident à produire. Le jeune cinéma suisse est en effet un cinéma de contestation. En prise directe sur la réalité qui l'environne, il ne peut comme malgré lui (un acteur comme Jean Luc Bideau incarne physiquement ce paradoxe) qu'en signaler la détresse morale et, parfois, l'absurdité intellectuelle, d'autant plus redoutable qu'elle est souvent feutrée.
Les premiers films de Tanner et de Soutter, notamment, ont dénoncé le caractère « insulaire », en marge de l'histoire, d'une société trop satisfaite d'elle-même, qui favorise l'aliénation existentielle ([...]
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Écrit par
- Gérard LEGRAND : écrivain, philosophe, critique d'art et de cinéma
Classification
Média
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