SUISSE CINÉMA
Les cinéastes et leurs films
Deux noms ont dominé l'émergence du cinéma suisse : ceux d'Alain Tanner et de Michel Soutter (1932-1991).
Le premier, après des études économiques, est allé s'initier à l'art du film à Londres (en pleine euphorie du « Free Cinema » dont il a visiblement subi l'influence). Il travaille à la BBC, puis retourne en Suisse dès 1961. Il réalise de nombreux documentaires pour la télévision romande. Son premier long métrage de fiction, Charles mort ou vif (1969), lui vaut l'attention de la critique internationale. Après le succès de La Salamandre (1971), il met en scène, toujours dans le même style à la fois réaliste et fantaisiste, Le Retour d'Afrique (1973), Le Milieu du monde (1974) et Jonas qui aura vingt ans en l'an 2000, expérience plus complexe (1976), puis Messidor (1978) et Les Années Lumières (1981). Les œuvres suivantes vont laisser de côté le discours utopiste que manie volontiers Tanner : l'effacement du héros de Dans la ville blanche (1983), la passion amoureuse décrite dans Une flamme dans mon cœur (1987) comptent parmi ses grandes réussites.
Quant à Soutter, d'abord poète et chanteur, initié au cinéma à Paris par Tanner dont il devient l'assistant, il met en scène des dramatiques de télévision et réalise son premier film en 1966 : La Lune avec les dents. Attaché à un cinéma d'auteur qui dérive de Renoir et aussi de Pasolini, il signe notamment James ou pas (1970), Les Arpenteurs (1972) et Repérages (1977) qui renouvelle le thème du « film sur un film » et fait enfin accéder le cinéma suisse à une conception non particulariste, fût-elle critique, de la matière filmique (espace et interprètes). Après avoir vainement tenté, en 1976, de faire accepter Ubu de Jarry par le public de Genève, Soutter poursuit son œuvre cinématographique avec L'Amour des femmes (1982), Adam et Ève (1983), Signé Renart (1985).
Autour de ces deux cinéastes, il faut mentionner au moins Claude Champion (né en 1942) venu de l'édition (C'était un dimanche en automne, 1971 ; Le Pays de mon corps, 1973 ; Marie Besson, 1974) ; Richard Dindo, documentariste abondant et controversé, qui a abordé le cinéma politique avec L'Exécution du traître à la patrie Ernst S. (1975) ; Kurt Gloor (La Soudaine Solitude de Konrad Steiner, 1976) ; Rolf Lyse (Konfrontation ou L'Attentat de Davos, 1974, premier film consacré au sujet tabou de la tentation nazie en Suisse d'avant-guerre) ; Thomas Koerfer, l'un des « jeunes » les plus originaux (La Mort du directeur du cirque de puces, 1973 ; L'Homme à tout faire, 1977 ; Alzire ou le Nouveau Continent, qui met en scène Voltaire et Rousseau, 1978) ; Patricia Moraz (Les Indiens sont encore loin, 1976), et les semi-documentaristes Hans et Nina Sturm (Métro, 1968 ; Une grève n'est pas une école du dimanche, 1976) ; Fredi M. Murer (né en 1940), auteur de documentaires et d'une superbe fiction (L'Âme sœur, 1985). Une place particulière doit être faite à Alvaro Bizzarri (né en 1934), cinéaste attitré, depuis 1970, de la vie des immigrés italiens et notamment de leur « colonie » de Bienne. Quant à Claude Goretta (1929-2019), il a longtemps réservé son talent au documentaire ou à la dramatique de télévision. Ayant débuté dans le long métrage de fiction avec Le Fou (1970), il s'est signalé avec L'Invitation (1973), Pas si méchant que ça (1975) et surtout avec la grâce délicate de La Dentellière (1977). Plus ambitieux et plus austère, La Mort de Mario Ricci (1982) confirme à la fois les qualités de Goretta et la difficulté (ici partiellement surmontée) pour le cinéma suisse de devenir international sans trahir ses origines.
Tous ces auteurs pratiquent au total un cinéma « intégré », soucieux, à des degrés divers, de psychologie et, en tout cas, de réalisme.[...]
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Écrit par
- Gérard LEGRAND : écrivain, philosophe, critique d'art et de cinéma
Classification
Média
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