CINÉMA-VÉRITÉ
La fortune de l'expression « cinéma-vérité » trouve son origine en 1960, dans une chronique d'Edgar Morin qui rendait compte d'un festival de films ethnographiques à Florence. En réalité, Morin avait intitulé son article « Pour un nouveau cinéma-vérité », hommage implicite aux travaux du cinéaste soviétique Dziga Vertov (1895-1954). Théoricien du mouvement Kino-Glaz (« ciné-œil »), celui-ci prônait une exploration du monde visible fondée sur le montage de plans volés à la réalité brute. Entre 1923 et 1925, Vertov avait publié un magazine filmé qu'il avait appelé Kino-Pravda : ce qui signifiait littéralement « ciné-vérité » certes, mais en référence au quotidien du Parti communiste. L'influence de Vertov sur le documentaire muet, de Walter Ruttmann à Jean Vigo, a été considérable.
Cinémas du réel
Le cinéma-vérité de 1960 a été le label autour duquel se sont fédérés des mouvements, des ateliers, des créateurs isolés venus des deux côtés de l'Atlantique et qui tous « récusaient pour vice de théâtralité les méthodes traditionnelles de tournage » (Bernard Dort). Il s'est imposé à l'occasion d'un congrès réuni à Lyon en mars 1963, cité des Lumière, par le service de la recherche de la RTF, qui réunissait des créateurs canadiens, américains et français, impliqués à des titres divers dans des recherches convergentes autour du filmage du réel.
Les Canadiens travaillent alors au sein de l'Office national du film, une structure mise en place à la veille de la guerre par le documentariste anglais John Grierson (1898-1972). Entre 1958 et 1960, l'équipe anglaise, animée par Tom Daly, a produit, pour la télévision, la série intitulée Candid Eye, dont le principe était d'observer la vie sans la transformer, en utilisant notamment des caméras cachées. Parallèlement l'équipe française filme l'homme québécois en pleine période de mutation dans Les Raquetteurs (1958), ou Les Bûcherons de la Manouane (1962). Les cinéastes, Michel Brault, Arthur Lamothe, Marcel Carrière, traquent la vérité « morale » d'une nation qui se découvre.
Aux États-Unis, c'est une équipe rassemblée autour de Robert Drew, avec le soutien financier du groupe de presse Time-Life, qui produit des magazines filmés orientés vers la recherche sociale. C'est autour de la Drew Associates que sont mis au point les premiers outils fiables de saisie du son synchrone. Des créateurs brillants se détachent de l'équipe : D. A. Pennebaker, les frères Maysles, et surtout Richard Leacock, qui réalisent ensemble Primary (1960), sur une élection primaire qui met en évidence le jeune sénateur J. F. Kennedy. Comme au Canada, les films sont destinés en priorité à la télévision.
En France, l'émergence de ce nouveau regard a été d'abord le fait d'ethnographes et de sociologues pour qui le cinéma était un instrument adapté à leurs enquêtes de terrain. Jean Rouch (1917-2004), le premier, avec Moi un noir (1958), puis Edgar Morin ont croisé des cinéastes de la génération de la Nouvelle Vague, le plus souvent formés par le court-métrage, qui voulaient rompre avec les codes narratifs d'un cinéma qui avait peu bougé depuis le passage au parlant : Mario Ruspoli, Chris Marker, Agnès Varda. Il s'agissait d'abord de sortir les caméras dans la rue, et d'y filmer sans tricher, en respectant l'autre.
Le cinéma-vérité, qu'après la consécration lyonnaise on a plus souvent appelé « cinéma direct », est un cinéma du réel – en quoi il se détourne du spectacle mis en scène, des acteurs professionnels, des décors et des orgies de kilowatts dévorés dans les studios aux murs aveugles –, mais un réel cadré et monté. Loin d'être une machine objective, la caméra est pilotée par un œil humain qui choisit le cadre et impulse le mouvement. Elle[...]
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Écrit par
- Jean-Pierre JEANCOLAS : professeur d'histoire, historien de cinéma, président de l'Association française de recherche sur l'histoire du cinéma
Classification
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