Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

COLONNE CINQUIÈME

Après le soulèvement du 18 juillet 1936 et leurs premiers succès contre les républicains, les troupes nationalistes des généraux Franco et Mola convergèrent vers Madrid. Elles étaient réparties en quatre colonnes. Cherchant le moyen de démoraliser leur adversaire, les responsables de la propagande franquiste eurent l'astuce, dans leurs émissions, de parler surtout de l'intervention proche et décisive de la cinquième colonne nationaliste qui fourbissait ses armes dans la capitale même du gouvernement républicain. Cette trouvaille, annonciatrice de la guerre psychologique, incita effectivement les républicains à renforcer leurs troupes affectées à la garde des points stratégiques de l'arrière, favorisant ainsi l'instauration d'un climat de suspicion propice aux épurations sanglantes et hâtives.

En mai-juin 1940, sur les routes de France, l'armée, engluée dans l'exode des civils, est en déroute. De bouche à oreille, une explication du désastre circule : « La cinquième colonne nous a vendus ! » Les Français, avides de se disculper de la défaite, seront tout prêts à croire, le cauchemar passé, au complot des pronazis et des profascistes de tous acabits. Qu'en était-il au juste ? En 1932, Hitler disait déjà : « Partout, en plein pays ennemi, nous aurons des amis qui nous aideront et la paix sera signée avant même que les hostilités aient éclaté. » Les nazis, convaincus que la démolition d'un pays quelconque par l'intérieur n'est qu'une question d'argent et d'organisation, essayèrent, tout comme les Italiens, d'influencer en leur faveur une partie de la presse et de l'opinion publique. Mussolini financera des mouvements extrémistes comme le Parti franciste de Marcel Bucard, affilié à l'Internationale fasciste créée sous l'égide du général Coselschi au congrès de Montreux (déc. 1934), ou comme la Cagoule d'Eugène Deloncle, qui exécutera en contrepartie des émigrés antifascistes. Hitler trouvera d'abord des interlocuteurs bien disposés dans les milieux d'anciens combattants, prêts à œuvrer pour une réconciliation franco-allemande sincère et durable. Ainsi Gustave Hervé et Fernand de Brinon, le fondateur du Comité France-Allemagne. Brinon gagna à ses idées des journalistes et des écrivains comme Alphonse de Chateaubriant, Georges Suarez, Georges Blond, Drieu La Rochelle, des animateurs d'associations d'anciens combattants tels Georges Scapini et Henri Pichot. Le messager des propositions conciliantes des nazis était Otto Abetz, le futur ambassadeur de Hitler à Paris, alors employé du « bureau Ribbentrop », bien introduit dans le journalisme parisien. Tout un milieu de pacifistes se développera à partir de Munich ; on y trouve, à côté des partisans de l'alliance pure et simple (Doriot), des représentants de l'extrême droite catholique, le frontiste Bergery, Marcel Déat, Pierre Laval, des radicaux-socialistes (tels Georges Bonnet, Chichery), des socialistes enfin (Paul Faure, Charles Spinasse). Toutes les nuances du défaitisme y sont représentées. Je suis partout, organe du fascisme « immense et rouge », refuse par avance une guerre fratricide qui ferait le lit du communisme. Mais la trahison ouverte est restée aussi exceptionnelle que le désir d'en découdre avec les Allemands dans le reste de la population, à quelques exceptions près, tel Paul Ferdonnet, speaker de Radio-Stuttgart. En résumé, cet amalgame bigarré de partisans du fascisme, de germanophiles et de pacifistes n'aura, semble-t-il, vraiment aucun rôle comme cinquième colonne organisée dans la déroute militaire de 1940 ; en revanche, il s'en réjouira dans l'ensemble plus qu'il ne s'en attristera, et il fournira nombre de ses cadres à la « collaboration » postérieure.

— Arnaud JACOMET

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : diplômé d'études supérieures d'histoire contemporaine

Classification