CIRCONCISION & EXCISION
Depuis que la loi mosaïque a institué la circoncision comme signe de l'alliance entre l'homme juif et son Dieu, depuis que le fait d'être circoncis a pu devenir, pendant le génocide de la Seconde Guerre mondiale, le signe de la mort, on sait comment une marque sur le corps peut inscrire le symbolique dans la chair vive. En fait, un tel rite procède d'une pratique qui se retrouve dans toutes les cultures, à des degrés divers : partout, le passage à l'état d'homme se fait grâce à des rites initiatiques qui demandent, mystérieusement, que soient laissées des traces sur le corps, auquel on enlève un morceau : là, un bout de pénis ; ailleurs, un bout d'oreille ou un bout de chair sur le dos labouré de cicatrices définitives. Et, depuis que les mouvements de libération des femmes ont gagné les pays en voie de développement, l'opinion a été rendue sensible à la pratique de l'excision, courante dans une partie de l'Afrique : à la femme, en vertu des mêmes rites de passage, on enlève le clitoris. Mais cette pratique dévoile aussitôt ses objectifs secondaires, qui peuvent être moins apparents dans la circoncision : l'ablation du clitoris châtre la femme d'une partie du plaisir sexuel.
Cependant, la seule volonté d'abolir ces coutumes « barbares » ne permet pas de comprendre leur existence, justifiée, dans le cas de la circoncision, par le fait religieux et, dans le cas de l'excision, par la répression exercée sur la condition féminine. D'autres pratiques rendent l'ensemble des blessures symboliques encore plus énigmatiques : ainsi, la subincision, pratiquée par certaines tribus d'Australie décrites par l'anthropologue hongrois Géza Róheim, les Pitjentara, par exemple. Cette opération rituelle consiste à inciser le pénis sur toute sa longueur, en laissant l'urètre à découvert et le pénis définitivement fendu en deux par en dessous. C'est là une coutume d'autant plus complexe que, si la circoncision fabrique des « hommes » et l'excision des « femmes », la subincision, qui fait saigner les hommes et leur laisse une ouverture, les transforme, au moins symboliquement, en femmes.
Cette constatation et d'autres, qui sont prises dans la clinique la plus quotidienne, ont conduit le psychanalyste Bruno Bettelheim à élaborer une théorie d'ensemble des « blessures symboliques », qui ont pour fonction d'assurer le passage d'un enfant à l'état d'homme dans le code culturel dont il relève. Bettelheim observe, dans la clinique qu'il dirige, des « rites d'initiation spontanés » au sein de groupes d'adolescents psychotiques. Dans l'un d'eux comprenant deux filles et deux garçons, ceux-ci, lorsque les filles eurent leurs premières règles, décidèrent que, chaque mois, ils allaient devoir se couper le doigt et mélanger leur sang au sang menstruel. À l'inverse, une fillette de douze ans simulait le coït avec un index et un objet annulaire : son index, devenu symboliquement pénis, était un « os-doigt », et, quand elle eut ses règles, elle parlait de le couper pour le faire saigner. Bettelheim signale qu'il fallait « intervenir » pour empêcher ces adolescents psychotiques de se mutiler. Il en déduit que les rites d'initiation relèvent de l'expression la plus profonde de la bisexualité de l'un et l'autre sexe, les filles étant pourvues de l'envie du pénis, ce qui est bien connu depuis Freud, et les garçons de l'envie d'un vagin, ce qui est encore à faire passer dans les esprits. L'axiome de Bettelheim s'énonce ainsi : « Un sexe éprouve de l'envie à l'égard des organes sexuels et des fonctions de l'autre sexe. »
Cet axiome s'accompagne d'une série d'hypothèses. Tous les rites de blessures devraient être étudiés[...]
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Écrit par
- Catherine CLÉMENT : ancienne élève de l'École normale supérieure, agrégée de l'Université
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