CIRRIPÈDES
Les rhizocéphales
Les rhizocéphales (Rhizocephala) ne sont pas les seuls Cirripèdes présentant une adaptation au parasitisme, mais ils constituent la lignée dans laquelle cette adaptation est poussée à la perfection, puisque leur organisation se réduit à un ou plusieurs sacs contenant une masse viscérale et des glandes génitales et à un système radiculaire s'étendant à l'intérieur du corps de l'hôte et en extrayant directement les sucs nourriciers. Il n'y a plus chez l'adulte ni segmentation, ni appendice, ni tube digestif.
Les rhizocéphales infestent très fréquemment et presque toujours exclusivement les crustacés décapodes. De nombreux genres et espèces ont été décrits, qui se distinguent par le nombre, la forme et l'implantation des sacs et surtout par des détails de structure que seule une étude histologique permet de discerner.
L'un des rhizocéphales les plus anciennement connus est facile à observer. C'est la sacculine, qui infeste un crabe, Carcinus maenas, commun sur les côtes européennes.
La sacculine se présente comme un sac charnu jaunâtre, fixé sur la face ventrale du crabe, qui, lorsqu'il est bien développé, maintient l'abdomen de l'hôte écarté du céphalothorax. Un court pédoncule rattache le sac au crabe, à l'intérieur duquel s'étend, jusqu'à l'extrémité des appendices, le réseau ramifié de « racines » par lequel le parasite se nourrit.
Lorsque les glandes génitales sont arrivées à maturité et après autofécondation, les œufs sont incubés à l'intérieur du manteau. À l'éclosion, la larve se présente comme un nauplius caractéristique des crustacés, mais avec les cornes frontales des cirripèdes et sans tube digestif. Après plusieurs mues, la larve parvient au stade cypris ; toujours dépourvue de tube digestif, elle mène pendant plusieurs jours une vie libre dans le plancton. C'est alors que, au lieu de se fixer sur un rocher ou sur un objet flottant, comme les autres cirripèdes, elle s'attache par une antennule à la carapace d'un crabe, à la base d'un poil. La cypris se transforme bientôt en une masse cellulaire ovoïde qui s'entoure d'une nouvelle cuticule, la carapace et les appendices larvaires étant rejetés. Un tube interne, sorte d'aiguille creuse, se forme et s'engage dans l'antennule. Par ce tube, jouant le rôle d'un trocart, la masse cellulaire s'injecte littéralement à l'intérieur du crabe, et, pendant une longue période, évaluée à vingt mois, alors que le crabe poursuit sa croissance, elle va effectuer une lente migration qui l'amène finalement dans l'abdomen de l'hôte. Là se différencient les organes définitifs de la sacculine, en même temps que se développe le système radiculaire. Au contact du parasite, les tissus du crabe se nécrosent localement et finalement cèdent, la sacculine devenant alors externe et s'accroissant rapidement pour prendre l'aspect décrit plus haut.
Le mode de développement des autres rhizocéphales ressemble à celui de la sacculine. Cependant, dans certains genres, le parasite interne produit non pas un, mais plusieurs sacs externes ; il en est ainsi dans le cas des Peltogaster, qui vivent sur les pagures, et des Thompsonia chez lesquels on a pu dénombrer près de deux cents individus, dépendant d'un seul système radiculaire, sur une seule crevette.
La présence d'un rhizocéphale modifie profondément le métabolisme de l'hôte, ralentit sa croissance et surtout provoque l'atrophie des glandes génitales. Cela se traduit spectaculairement par l'apparition, chez les crabes mâles parasités, des caractères sexuels secondaires femelles : élargissement de l'abdomen et développement sur celui-ci des appendices ovigères normalement absents chez le mâle.
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Écrit par
- Jacques FOREST : professeur émérite, Institut océanographique
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