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CITÉ-ÉTAT

La cité dans les débats philosophique et politique

Au ive siècle avant J.-C., déjà, les philosophes grecs ont mis la cité au cœur de leur réflexion. Aristote la pense comme étant « naturelle » (Politique). Elle est, pour lui, une communauté « accomplie » et « autosuffisante », formée en vue du « bien-vivre ». Tout comme la cité existe « par nature », l'homme est, par nature, « un animal politique » (destiné à vivre en cité). L'homme, en outre, est le seul des animaux à posséder le logos, conçu comme la faculté lui permettant de percevoir et d'exprimer le juste et l'injuste. Et c'est bien la commune possession de cette capacité qui est au fondement de la famille et de la cité.

Plus tard, le concept de cité sera repris par le christianisme, en particulier à travers la Cité de Dieu (426) de saint Augustin. Les deux cités, celle de Dieu et celle de la terre, traversent l'histoire et, pour ainsi dire, tout homme : elles commencent avec Caïn et Abel. Seul le jugement dernier viendra séparer les deux cités.

Au xviiie siècle, avec la Révolution française, la notion de cité refait surface. En ces moments de trouble s'opère une repolitisation de l'exemple des Anciens. La figure, sans doute la plus sollicitée, est celle du législateur : on invoque Lycurgue, le législateur mythique de Sparte, ou Numa, celui de Rome. En philosophie politique, il existe des homologies entre la cité d'Aristote et celle du Contrat social (1762) de Rousseau. Dans les deux cas, il s'agit de faire passer l'humanité de l'homme par la légalité et la contrainte civiles. Pour Benjamin Constant et les libéraux, au début du xixe siècle, la Révolution a été un moment d'excessive et sanglante identification avec les Anciens, où l'on a voulu « régénérer » la France en la transformant en une nouvelle Sparte. On a confondu les temps (la France n'est pas une petite république) et on s'est mépris sur le passé (l'égalité spartiate tant vantée était en réalité le comble de l'inégalité).

Pour prévenir le retour de semblables confusions, il faut donc établir clairement qu'entre les Anciens et nous il y a désormais un fossé, qui empêche de les prendre pour modèle politique : leur liberté n'est plus la nôtre. La leur était toute de participation (impliquant l'exercice effectif de la souveraineté), l'individu n'était rien et l'État était tout, alors que la liberté moderne est la liberté civile, celle de la « jouissance privée », qui ne va pas sans le système représentatif.

Avec La Cité antique (1864) de Fustel de Coulanges, on change de terrain : on quitte la politique active pour entrer dans le domaine de l'érudition d'une part et, de l'autre, on fait passer au premier plan la dimension religieuse. Selon cette thèse, en effet, le fondement du lien social est religieux, puisque tout commence avec la famille (nucléaire), dont la toute première raison d'être est d'assurer le culte des morts. Il en va de même avec la cité qui, sur le même modèle que la famille, est d'abord une institution religieuse, devant assurer le culte du fondateur et des ancêtres.

Plus près de nous, après les catastrophes du xxe siècle, la cité grecque redevient, pour Hannah Arendt, non pas un modèle, mais une référence privilégiée : là a surgi ce politique, que les temps modernes ont vu s'engloutir. Prenant appui sur les définitions d'Aristote, elle la voit comme la mise en commun des paroles et des actes. Aussi pour l'homme moderne, privé désormais de « monde commun », la polis continuera d'être présente aussi longtemps que nous aurons à la bouche le mot « politique ».

— François HARTOG

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

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