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CITOYENNETÉ ET NATIONALITÉ EN FRANCE ET EN ALLEMAGNE (R. Brubaker)

Professeur de sociologie à l'université de Californie à Los Angeles (U.C.L.A.), Rogers Brubaker considère que la définition juridique de la nationalité joue un rôle central dans le développement et le fonctionnement de l'État. Pour ne pas en rester au niveau des généralités, il étudie deux cas très différents, celui de la France et celui de l'Allemagne (Citoyenneté et nationalité en France et en Allemagne, trad. franç., Belin, Paris, 1997). Sa démonstration, brillante et stimulante, procède en trois temps. Il s'intéresse tout d'abord aux concepts traditionnels de la nation dans chacun des deux pays ; il étudie ensuite les origines et le fonctionnement de l'institution moderne de la nationalité ; il analyse enfin les étapes clés de la législation adoptée de part et d'autre du Rhin.

Profondément enracinées dans l'histoire, les conceptions française et allemande de la nation se distinguent au point de paraître antagonistes. En France, depuis la fin de l'Ancien Régime, l'idée de nation est liée au cadre institutionnel et territorial de l'État : cette conception essentiellement politique a été renforcée par les expériences révolutionnaires et républicaines. À cette approche française centrée sur l'État et l'assimilation culturelle s'oppose la conception allemande, « différentialiste » selon l'expression de l'auteur, qui s'appuie sur le Volk (peuple), communauté originelle. Le sentiment national allemand est né avant l'État-nation imparfait, incarné par l'Empire de 1871-1918. Détachée du concept abstrait de citoyenneté, l'idée allemande de nation n'avait rien de politique. Communauté organique de culture, de langue et, sous l'effet de l'anthropologie dix-neuviémiste, de race, la nation se présentait comme un fait ethnoculturel.

L'intérêt de ce livre est de bien mettre en lumière certains éléments qui expliquent cette différence fondamentale. Il souligne qu'en France la monarchie bureaucratique a fait naître une conception politique et territoriale de la nation. En Allemagne, l'absence de coïncidence entre l'État et la nation a longtemps fait coexister des structures supranationales avec une pluralité d'unités politiques étatiques plus ou moins souveraines, favorisant ainsi le développement d'une conception ethnoculturelle de la nation. Les nombreuses fluctuations et les conflits qui ont affecté au cours de l'histoire les frontières ethnoculturelles entre les Allemands et les Slaves en Prusse orientale et dans l'Est européen ont empêché, de part et d'autre, la mise en place d'une politique d'assimilation à la française.

Avec beaucoup de subtilité, Rogers Brubaker rappelle que ces conceptions française et allemande très affirmées se sont cependant influencées. La Révolution française et plus encore l'occupation napoléonienne ont fortement stimulé le débat allemand. Les romantiques allemands ont volontairement développé un discours esthétique et sociohistorique pour s'opposer au volontarisme français. Plus réalistes, les réformateurs prussiens ont au contraire cherché, après la défaite de 1806, à régénérer leur État en introduisant, à la manière française, le nationalisme par le haut. La défaite française de 1870 a fait migrer le nationalisme français de la gauche vers la droite (crise du boulangisme et affaire Dreyfus). L'Alsace-Lorraine symbolise l'opposition des conceptions sur la nation : les Français mettent en avant la volonté et le sentiment de la patrie, les Allemands la race et la langue.

Même si l'idée nationale a pu emprunter certains éléments à l'autre pays, il n'en demeure pas moins que les définitions de la nationalité restent aujourd'hui très différentes. « La loi française, assimilatrice, qui[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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