CITOYENNETÉ
Les critiques des principes nouveaux
Deux grands courants critiques ont dénoncé ces tensions ou ces contradictions, arguant qu'elles rendaient les droits de l'homme et la citoyenneté tout à la fois inefficaces et dangereux. Ils n'ont cessé d'alimenter les débats sur les sociétés démocratiques modernes. Les penseurs de la contre-révolution ont critiqué l'abstraction du citoyen qui arrache l'individu à la nature et à l'histoire, l'élaboration d'une société artificielle fondée sur l'individu et non sur le collectif, les effets pervers d'une construction politique rationaliste qui viole la nature inévitablement hiérarchique des sociétés et les leçons de l'expérience historique. Le caractère naturel de la hiérarchie sociale, l'abstraction de l'individu-citoyen, le refus de tenir compte de la continuité historique et des leçons de l'expérience, la condamnation du volontarisme rationnel et de la prétention de la Raison à dominer la politique, le danger de toute révolution de sombrer dans le despotisme, ces grandes inspirations que développa Edmund Burke, dès 1790, dans sa philippique, Réflexions sur la Révolution française, seront reprises et inlassablement développées par les penseurs contre-révolutionnaires de Rivarol à Maurras en passant par Maistre et Bonald jusqu'au milieu du xxe siècle ainsi que par la critique romantique allemande. Dans bien des cas, ils adopteront les critiques de Burke, sans adopter pour autant sa défense des libertés anglaises.
Les marxistes, de leur côté, ont repris des thèmes développés avant eux par le catholicisme social et divers penseurs d'inspiration socialiste. Constatant le décalage qui existe dans les sociétés historiques entre l'égalité proclamée des droits civils et politiques et les inégalités économiques et sociales de fait, ils ont dénoncé les impostures de la citoyenneté bourgeoise « formelle » et lutté pour qu'advienne, grâce à la révolution, la citoyenneté « réelle ». Ce qui est significatif, c'est que la protestation de Marx contre la seule affirmation des libertés formelles a été admise bien au-delà du cercle des penseurs marxistes ou d'inspiration marxiste. Personne ne nie aujourd'hui que le droit de parler, d'écrire, de choisir ses représentants et de célébrer son Dieu selon ses croyances peut ne pas avoir de sens réel pour celui qui, dans son existence quotidienne, ne dispose pas des moyens matériels d'assurer sa dignité. Tous les démocrates admettent aujourd'hui qu'il ne faut pas céder à la bonne conscience des privilégiés qui peuvent d'autant mieux jouir des libertés formelles que leurs conditions de vie sont confortables, aucun ne nie que les droits universels risquent toujours de profiter surtout à quelques-uns.
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Écrit par
- Dominique SCHNAPPER : directrice d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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