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CITOYENNETÉ

Histoire et formes concrètes

La citoyenneté n'est pas une essence donnée une fois pour tous, qu'il importerait de maintenir et de transmettre. Qu'il s'agisse de la conception qu'on s'en fait ou des règles juridiques et, plus généralement, de l'ensemble des institutions et des pratiques sociales qui l'organisent, elle ne cesse d'évoluer. C'est une construction historique.

L'idée même de la citoyenneté est issue de deux histoires particulières, celle de l'Angleterre et celle de la France. Le citoyen, dans la tradition anglaise, est d'abord libéral. Il a exigé la sûreté des personnes, la liberté de penser, de parler et d'agir. Son libéralisme s'est ensuite démocratisé par l'extension des droits politiques à l'ensemble des citoyens. Il reste attaché au pluralisme des appartenances et des attachements qu'il perçoit comme l'expression « naturelle » des libertés. Dans la tradition française, le citoyen est l'héritier de l'absolutisme royal qui avait construit une relation directe entre le roi et ses sujets. C'est d'abord un démocrate, disposant de la liberté politique par la participation à la souveraineté collective. La citoyenneté est, pour lui, une et unitaire.

Les définitions de la citoyenneté ne se recouvrent pas, elles sont le produit de conflits et de compromis entre des conceptions diverses, entre des groupes sociaux opposés, selon les rapports de forces qui s'établissaient entre eux. La définition a évolué au cours du temps et continue à le faire. Les formes varient d'un pays à l'autre. Les mêmes principes proclamés ont été appliqués de manière différente selon les traditions historiques de chaque pays. Les institutions qui organisent concrètement la vie commune diffèrent et évoluent dans le temps. Les démocraties ont élaboré des systèmes politiques extrêmement divers. L'agencement des pouvoirs et les manières d'organiser la représentation sont, dans chaque pays, spécifiques, qu'il s'agisse des partis politiques, des modes de scrutin, des traditions parlementaires, des relations entre l'État central et les pouvoirs locaux – bref, de l'ensemble des institutions par lesquelles s'organisent les débats publics. Aucune solution ne s'impose de manière absolue, indépendamment de l'histoire de la société nationale. C'est que la modernité politique a réinterprété des institutions anciennes. La naissance du citoyen « à la française » tient non seulement à la rupture révolutionnaire, mais aussi à l'histoire de l'absolutisme royal, à la concentration des pouvoirs, à l'élaboration séculaire des institutions étatiques par le roi. Les révolutions les plus radicales ne repartent pas de zéro, comme l'a montré Tocqueville en soulignant la continuité sociale de l'Ancien Régime à la Révolution. L'histoire de la nation et de la centralisation politique, des influences politiques et intellectuelles rend chaque démocratie singulière.

Pourtant, malgré ces évolutions et ces diversités, il existe un trait commun à la citoyenneté moderne, sa dimension potentiellement universelle. Depuis Hume, on avait critiqué la cité antique qui, fondée sur la distinction entre les hommes libres et les esclaves, excluait de fait la grande majorité de la population de la pratique démocratique. Les sociétés modernes ont progressivement conçu, puis inscrit dans les institutions la vocation universelle de la citoyenneté. Parce qu'elle est définie en termes juridiques et politiques, la communauté des citoyens a pour vocation de s'ouvrir à tous ceux qui sont susceptibles de participer à la vie politique, quelles que soient leurs caractéristiques particulières. Le citoyen est, par définition, un individu abstrait, sans identification et sans[...]

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Écrit par

  • : directrice d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

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La Liberté guidant le peuple, E. Delacroix - crédits : AKG-images

La Liberté guidant le peuple, E. Delacroix

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