CITOYENNETÉ
Lien social : l'individu-citoyen
La citoyenneté n'est pas seulement le principe de la légitimité politique, c'est également la source du lien social. Dans la société démocratique moderne, le lien entre les hommes n'est plus religieux ou dynastique, il est politique. Vivre ensemble, ce n'est plus partager la même religion ou être, ensemble, sujets du même monarque ou être soumis à la même autorité, c'est être citoyens de la même organisation politique. Ce principe de légitimité s'est progressivement traduit dans toutes les formes de la vie sociale. On observe la prééminence toujours plus affirmée de l'individu-citoyen aux dépens du collectif. C'est ce que traduit l'évolution du droit. On assiste à ce que Jean Carbonnier (1996) appelle la « montée » récente des droits subjectifs – ou droits des individus – aux dépens des droits objectifs, liés aux exigences de la vie collective. C'est vrai à tous les niveaux. Les modifications apportées au droit de la famille depuis les années 1960 ont consisté à reconnaître les droits des individus aux dépens de l'institution familiale, telle que l'avait construite le Code civil. Le droit a consacré et accéléré le changement des mœurs et des valeurs. On a rendu égaux les droits de l'homme et de la femme, on a accordé des droits égaux à tous les enfants, qu'ils fussent nés dans une famille légitime ou non. Désormais les droits de l'individu – chacun des membres du couple, l'enfant – priment sur l'intérêt de l'institution – la famille. En reconnaissant les droits des personnes, le droit européen contribue également à construire une personnalité juridique jugée, selon Jacqueline Costa-Lascoux (1988), plus « déliée », plus « élective », « moins soumise aux origines ethniques ou aux parentèles, soucieuse d'affirmer ses opinions et ses choix, sa capacité à agir et sa responsabilité ».
Cet individualisme démocratique affaiblit les institutions nationales par lesquelles était traditionnellement assurée l'intégration de la société. La crise de la légitimité ne concerne pas seulement les institutions politiques mais toutes les instances sociales. Qu'il s'agisse de l'École, de l'Église, des syndicats, ou des grands services de la nation, aucune institution n'exerce plus une autorité qui s'impose par elle-même. La baisse de fréquentation des manifestations religieuses traditionnelles, les difficultés de recrutement des syndicats et des partis politiques, l'affaiblissement de la transmission des valeurs nationales et patriotiques par l'école ou l'armée sont autant de signes de cette remise en cause des institutions par lesquelles s'était constituée la société nationale.
L'autorité n'est jamais acquise, elle est toujours à conquérir. Chaque individu juge légitime d'en appeler à ses droits naturels et à ses convictions personnelles et n'accepte pas sans la soumettre à son propre jugement l'autorité des institutions religieuses, politiques ou morales. C'est pourquoi, en même temps qu'une « crise » générale de la représentation, on évoque la « crise » de l'enseignement, la « crise » des syndicats, la « crise » des Églises, la « crise » de la justice, la « crise » de telle ou telle profession liée aux relations entre les hommes, qu'il s'agisse des travailleurs sociaux, des médecins, des magistrats... Les individus se donnent le droit de ne pas accepter les institutions en tant que telles, d'apprécier leur légitimité, de juger au cas par cas si les normes qu'elles établissent doivent être obéies. Les mouvements de révolte de 1968 étaient symboliques de cette explosion de l'individualisme aux dépens des institutions et de toute forme d'autorité.[...]
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Écrit par
- Dominique SCHNAPPER : directrice d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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