CITOYENNETÉ
Les débats actuels sur la citoyenneté
La citoyenneté « classique », que nous venons d'évoquer, est aujourd'hui volontiers jugée dévalorisée et inefficace. Comment la faire évoluer ?
Plusieurs courants de réflexion se développent à ce sujet. Le premier est suscité par la construction de l'Europe politique. La citoyenneté a été jusqu'à présent nationale, les institutions qui l'ont organisée et rendue effective ont été nationales. Or les nations sont affaiblies dans leur rôle de sujets historiques. Comment conjuguer la citoyenneté nationale et la citoyenneté européenne ? La citoyenneté européenne peut-elle n'être que l'élargissement à l'Europe de la citoyenneté nationale ou doit-elle être de nature différente ? C'est tout l'effort, mené en particulier par Jurgen Habermas (1990), pour penser une citoyenneté européenne, fondée sur l'adhésion à l'État de droit et aux droits de l'homme (« le patriotisme constitutionnel »), qui soit détachée de l'adhésion à une culture, une langue et une histoire nationales.
Le deuxième courant s'interroge sur la compatibilité de la citoyenneté politique avec l'existence de sociétés ouvertes. Les sociétés sont aujourd'hui plus ouvertes et plus diverses qu'autrefois – du moins le pense-t-on très généralement – et elles connaissent des revendications, inconnues dans les générations du passé, pour que les droits culturels de certains groupes de populations ne soient plus laissés à la liberté des individus dans le privé, selon la conception « classique », mais qu'ils soient publiquement reconnus. Faut-il désormais juger cette conception insuffisante et reconnaître publiquement que les « droits culturels » font partie intégrante des droits individuels que la modernité politique entend assurer ? Le débat ne porte pas sur les droits « culturels » au sens intellectuel du terme (droit à la lecture et à la connaissance scientifique, par exemple), mais au sens des « droits de l'individu à posséder et à développer, éventuellement en commun avec d'autres au sein d'un groupe défini par des valeurs et des traditions partagées, sa propre vie culturelle, correspondant à une identité culturelle distincte de celle d'autres individus ou d'autres groupes » (Sylvie Mesure et Alain Renaut, 1999). Dès lors se pose le problème : comment concilier la liberté et l'égalité individuelle de tous les citoyens – principe qui, l'expérience l'a montré, doit rester un impératif et que personne ne remet plus en cause – et la reconnaissance publique de leurs spécificités culturelles qui sont, par nature, collectives ?
Enfin, dernière interrogation, les sociétés modernes sont de plus en plus organisées autour d'un projet essentiellement économique et social, de moins en moins politique. C'est le chômage ou les droits des salariés, et non la liberté politique ou la défense des droits de l'homme, qui sont au cœur des campagnes électorales. Comment faut-il repenser la citoyenneté politique et individuelle pour qu'elle organise effectivement les comportements collectifs dans des sociétés ouvertes sur le monde, où l'économie joue désormais un rôle prééminent ?
La société fondée sur la légitimité, les valeurs et les institutions de la citoyenneté est une forme d'organisation aussi improbable que fragile. Elle ne fonctionne que lorsqu'un espace public s'est construit, qui transcende la société concrète, ses divisions et ses inégalités. C'est une société fragile, où les liens qui unissent les hommes sont d'abord juridiques et politiques. C'est aussi une société fragile parce qu'elle est fondée sur un principe de renversement du monde social. Elle affirme en effet, contre toute l'expérience sociale concrète, l'égalité civile, juridique et politique[...]
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Écrit par
- Dominique SCHNAPPER : directrice d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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