RURALE CIVILISATION
Religion, culture et folklore
Religiosité et paganisme
Dans le cas des sociétés paysannes d'Europe occidentale, la religion rustique est essentiellement un christianisme interprété selon les modalités du folklore local. En principe, à l'apogée de la civilisation rurale (xiiie-xixe s.), les éléments les plus flagrants du paganisme ont été éliminés, depuis belle lurette, de la religiosité paysanne : le culte des pierres, des arbres, des plantes et des bêtes en tant que tel a disparu. Enchâssées dans un corps de bois, les pierres de lune sont devenues des vierges noires. Jusqu'à une date tardive (viie siècle...), les missionnaires chrétiens ont brûlé les idoles monstrueuses et abattu les arbres-dieux. Des légions de saints se sont installées sans façon sur l'emplacement des sources et des bois sacrés. Ils ont personnalisé, « humanisé » le vieux paganisme folklorique. Ils ne l'ont pas fait disparaître : saint Médard fait tomber la pluie, sainte Barbe protège de l'orage ; et des centaines de saints thaumaturges, judicieusement postés aux fontaines miraculeuses, veillent, des pieds à la tête, sur les organes respectifs des malades qui se présentent à la cure. Certes l'Église, surtout après le concile de Trente (1545-1563), peut bien rappeler aux villageois, de temps à autre, que les saints, et même la Vierge, ne sont que de simples intercesseurs auprès de la Trinité. Mais, pour les paysans qui célèbrent le culte de saint Joseph ou de saint Antoine, cette casuistique est sans valeur : le saint, de leur point de vue, possède bel et bien des pouvoirs personnels ; il n'a pas à passer par l'intermédiaire du Tout-Puissant pour obtenir telle ou telle grâce sur la terre. En ce sens, le saint demeure un petit dieu rustique et même touristique (cas des pèlerinages) : on reste très près du paganisme. Mieux vaut, du reste, ne pas affronter trop violemment cette théologie boiteuse, mais efficace et crédible, que se sont forgée les villages ad usum rustici ; au temps de la Réforme, les ministres huguenots tentèrent souvent, en France, d'évangéliser les campagnes et de briser les statues de la Vierge : ils durent plus d'une fois s'enfuir, trop heureux de n'être pas massacrés par les paroissiens en furie. Et, de même, la seconde tentative de défolklorisation du christianisme rural, menée par les curés jansénistes à partir du début du xviiie siècle, se soldera souvent par un désastre pour l'Église : en tentant d'épurer le culte des saints et de désamorcer le culte des morts (celui-ci souligné pendant si longtemps par l'enterrement des cadavres sous le pavé des églises), le catholicisme aboutira finalement à creuser sa propre tombe ; il s'aliénera les très nombreux paysans pour lesquels la religion ne se conçoit pas sans folklore.
La culture orale
Le folklore cependant déborde très largement le terrain des cultes et des sanctuaires. Il se concrétise aussi par la vivacité d'une culture orale : celle-ci s'incarne par exemple dans le conte populaire, déposé dans la mémoire de conteurs spécialisés qui apprennent leurs histoires par cœur. L'âge venant, ils transmettent les récits à un jeune homme doué d'une bonne mémoire, qui, à son tour, en vieillissant passera le flambeau à un plus jeune. Ainsi se transmet, venue du fond des âges, une sagesse narrative et normative qui circule, se transforme, se décompose et se recompose sans cesse, en voyageant par allers et retours de Gibraltar à l'Oural, et bien au-delà, à travers les espaces de l'Eurasie. La France rurale, de ce point de vue, n'était jusqu'au xixe siècle qu'une province culturelle parmi bien d'autres, au sein d'un très vaste monde. Le conte populaire y est parvenu à la notoriété de l'imprimerie, et même jusqu'à la très grande littérature[...]
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Écrit par
- Emmanuel LE ROY LADURIE : professeur au Collège de France
Classification
Médias
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