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RURALE CIVILISATION

Transformation et déclin de la civilisation rurale

Il n'y a pas loin pourtant du Capitole à la roche Tarpéienne. Du xive siècle au début du xviiie, à travers des soubresauts gigantesques et sans forte croissance, la civilisation rurale s'était en quelque sorte stabilisée dans la misère et dans le folklore, et dans l'immobilisme démographique et économique du très long terme, qui triomphait finalement des fluctuations les plus lourdes, négatives et séculaires. Or, à partir de 1720-1730, tout change : cette même civilisation agreste connaît dans tout l'Occident, sans pour autant perdre ses caractères originaux, une fièvre de croissance. La population paysanne, pendant plus d'un siècle, s'accroît et bourgeonne sur place, tout en fournissant des hommes aux villes en expansion. En même temps, les structures démographiques du monde rural se modernisent à partir du xviiie siècle : la mortalité recule sous l'influence de la médecine, d'un meilleur niveau de vie et d'une hygiène personnelle ou infantile un peu moins déplorable que par le passé. Face à la montée démographique, dont on peut craindre qu'elle n'engendre le paupérisme, les paysans tâchent d'élever de fragiles barrières. Ils s'initient par exemple en France, et surtout après 1800, aux secrets essentiellement masculins du coïtus interruptus : ceux-ci sont largement diffusés chez les jeunes paysans et les conscrits grâce aux conversations de taverne et de caserne ; ils sont ensuite appliqués par ceux qui désormais les connaissent dans leur comportement conjugal. Une croissance économique, notamment agricole et frumentaire, se dessine elle aussi aux xviiie-xixe siècles ; elle fait face aux besoins des nouvelles bouches à nourrir ; elle réussit aussi à augmenter légèrement la ration moyenne, urbaine et rurale, per capita. Cette croissance agricole s'opère d'abord par le simple jeu des défrichements et de l'intensification du travail humain et animal. Puis, à partir de dates qui varient (en général au xixe siècle, ou quelquefois dès le xviiie siècle, dans l'Europe continentale), une véritable révolution agricole s'instaure : on sélectionne les grains (Vilmorin) et le bétail (ce second type de sélection se trouvant à l'origine d'un des courants de pensée d'où sortira le darwinisme). Les plantes fourragères évincent tout à fait la jachère. L'adoption de charrues perfectionnées prélude à la diffusion de la moissonneuse McCormick et, beaucoup plus tard, du tracteur. En France, ces deux dernières catégories de machines ne seront introduites en masse respectivement qu'au début, puis au milieu du xxe siècle.

Culturellement, l'horizon paysan s'élargit lors de la phase de croissance : on a déjà mentionné le très bel essor du costume régional (mais il s'agit surtout de vêtements « à manger de la tarte », pour les jours de fête...) et du mobilier des laboureurs, au xviiie et au xixe siècle. Sur le plan de la culture proprement intellectuelle, le vieux folklore oral tend de plus en plus à coexister avec une littérature populaire qui se développe, imprimée, par exemple au xviiie siècle, par la Bibliothèque bleue de Troyes. Cette Bibliothèque bleue transmet aux quelques paysans lettrés (qui, à haute voix, la lisent ensuite aux auditoires des veillées) une culture d'origine urbaine, et de type... médiéval qui arrive ainsi dans les villages, grâce à l'édition, avec trois ou quatre siècles de retard ! La culture politique des ruraux se modifie elle aussi beaucoup au xviiie siècle : elle encourage la contestation paysanne, qui désormais s'attaque, avec plus de force que par le passé, à la seigneurie, pierre angulaire de l'« ordre éternel des champs », auquel, justement et pour la première fois, beaucoup de rustres ne croient plus ou n'adhèrent[...]

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