CIVILISATION
Critères évolutifs
Lorsqu'on fait de la civilisation la marque d'un certain degré du progrès de l'humanité, il faut pouvoir dire à quoi l'on reconnaît qu'un peuple ou une société est rangé parmi les civilisés ou les non-civilisés. Cette démarche n'est pas seulement l'inverse de celle qui consiste à définir les sociétés ou la mentalité archaïque. En effet, suivant les critères que l'on cite, il peut se faire que certains peuples soient à la fois archaïques et civilisés, ou bien encore, inversement, on peut estimer qu'il y a un hiatus dans le processus évolutif entre l'archaïsme pur et la civilisation proprement dite. Il faut donc partir de la civilisation elle-même et non de son opposé pour en repérer les traits distinctifs.
Très souvent, les sociologues et les anthropologues ont cherché à les ramener à un seul, en estimant que le fait d'atteindre un certain niveau dans un domaine bien déterminé de la vie sociale suffit à assurer l'accès à la vie civilisée sous toutes ses formes. Autrement dit, la recherche du critère se ramène souvent ici à celle du phénomène le plus significatif du progrès social. Et, pour être opératoire, il importe qu'il soit relativement facile à observer et qu'il permette l'appréciation de sa gradation, sinon quantitativement, du moins qualitativement.
Complexité et urbanisation
Le critère morphologique est sans doute celui qui est le plus directement saisissable et le plus conforme à l'hypothèse évolutionniste, telle que Spencer l'appliquait à la sociologie. Dans ce cas, on dira qu'une société peut être appelée civilisée lorsqu'elle a atteint un certain degré de complexité, d'hétérogénéité entre ses parties, de différenciation entre ses organes selon des fonctions. Il en résulte évidemment que sa taille même doit dépasser celle de la cellule sociale élémentaire, par exemple celle du clan, de la tribu.
Ce type de critère a permis à quelques anthropologues de tenter une conciliation entre l'objectivité scientifique excluant tout jugement de valeur et la perspective évolutive. Ainsi, pour Beals et Hoijer, il n'y a pas entre les cultures civilisées et les cultures non civilisées de différence qualitative qui soit susceptible d'entraîner une appréciation nécessairement laudative des premières, mais simplement une différence quantitative dans leur contenu et la complexité de leur structure. Il n'en reste pas moins difficile de dire à partir de quel degré de diversification une société peut être dite civilisée. La délimitation dans une série évolutive continue reste arbitraire.
Aussi bien a-t-on cherché un élément morphologique qui, au lieu d'être seulement plus développé ici et moins là, soit présent à un stade, absent à un autre. Et, de ce point de vue, le critère le plus souvent utilisé est celui de l' urbanisation. Particulièrement accentuée par Gordon Childe, l'assimilation de la vie civilisée à l'avènement du phénomène urbain a été si souvent acceptée par les savants qu'il est devenu courant de traiter des phénomènes de civilisation sous la rubrique « révolution urbaine », celle-ci constituant en somme la coupure entre la civilisation et tout ce qui la précède dans l'histoire culturelle des peuples. Dans l'esprit de Gordon Childe, le processus d'urbanisation n'est certes pas la caractéristique unique de l'essor des civilisations, mais il en est le résultat et le symbole. Il y a donc une civilisation pré-urbaine ; mais elle ne prend qu'ensuite, avec l'apparition des villes, son sens véritable. C'est ainsi que, dans l'histoire de l'humanité, l'aube de la civilisation qui se manifeste dès le début du Néolithique fait place à la civilisation proprement dite lorsque apparaissent les premières villes en Mésopotamie. Puis l'urbanisation se poursuit et s'étend à partir de trois foyers de civilisation qui, à[...]
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Écrit par
- Jean CAZENEUVE : membre de l'Institut, professeur émérite à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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