CIVILISATION
Critères analytiques
Définition des phénomènes de civilisation
Pour échapper aux dangers des jugements de valeurs éthnocentriques et aux hiérarchies arbitraires entre sauvages et civilisés, plusieurs sociologues et anthropologues préfèrent partir de l'analyse des manifestations de la vie sociale et ranger certains éléments sous la rubrique « civilisation » et d'autres éléments sous la rubrique « culture », ce qui évite de faire du premier de ces concepts une forme supérieure du second. Malheureusement, cela implique entre les deux notions un partage difficile, et, dans ces conditions, l'accord est loin d'être fait sur ce qu'on appelle phénomène culturel et ce qu'on peut nommer phénomène de civilisation, ces deux ordres devant ainsi coexister dans toute espèce de société, quel que soit son degré d'avancement dans tel ou tel domaine. Selon R. M. Mac Iver, la culture consiste dans les « expressions de la vie ». Il faut entendre par là les idéologies, religions, arts, littératures, c'est-à-dire à peu près ce que les marxistes considèrent comme les superstructures. Quant à la civilisation, elle représente les créations de la société pour assurer son contrôle sur ses propres conditions de vie, ce qui implique aussi bien l'organisation sociale que les techniques. Cette conception, assez répandue parmi les sociologues allemands, s'inspire en partie des distinctions faites par Alfred Weber et rejoint aussi celle que Kroeber établit entre deux sortes de cultures : celle de la valeur, et celle de la réalité, cette dernière correspondant plutôt à la civilisation.
Partant d'un point de vue assez différent, quelques auteurs, comme Laloup et Nélis, arrivent à des définitions assez voisines, en appliquant à ce contexte la distinction établie par Hegel entre l'esprit subjectif qui, alors, envelopperait la culture et, d'autre part, l'esprit objectif auquel se rattacherait la civilisation. La culture exprimerait ainsi les efforts que l'homme dirige sur lui-même pour se perfectionner, et la civilisation, ceux qu'il fait pour modifier le monde et qui se projettent ainsi dans des œuvres concrètes.
Or ces définitions, si elles sont dans l'ensemble cohérentes entre elles, sont en revanche difficilement conciliables avec le sens le plus courant des mots et aussi avec celui que tendent à leur donner les conceptions évolutives. Ces dernières insistent volontiers en effet sur les idéologies et les créations esthétiques, pour séparer les civilisés des non-civilisés. Le langage commun ne semble pas non plus exclure ces caractéristiques de ce qu'il entend par « vie civilisée ».
En fait, on s'aperçoit que ces difficultés viennent souvent de ce qu'on a trop souvent séparé deux sens du mot « civilisation », à savoir celui qui définit dans l'abstrait un ordre de phénomènes et celui qui, dans le concret, s'applique à un ensemble humain, déterminé dans l'espace et le temps, c'est-à-dire non pas tellement à la civilisation, mais à une civilisation.
La forme concrète de la civilisation
Une tentative a été faite par Marcel Mauss pour unir les différentes acceptions du terme. Il définit d'abord le phénomène de civilisation comme étant commun à plusieurs sociétés et à un passé plus ou moins long de ces sociétés. On peut donc le distinguer du simple phénomène culturel par son volume, de sorte que l'analyse conceptuelle est faite ici en extension plutôt qu'en compréhension. Ainsi, les phénomènes en question sont par essence supranationaux, de telle sorte que leur étude comporte celle des contacts et de la diffusion, en même temps que celle des processus par lesquels les sociétés particulières s'individualisent sur un fond de civilisation. On peut alors définir la civilisation elle-même comme un « ensemble suffisamment grand de phénomènes de civilisation,[...]
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Écrit par
- Jean CAZENEUVE : membre de l'Institut, professeur émérite à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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