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CIVISME

Le terme de civisme est un terme récent. On l'a lu chez Montesquieu, où il ne figure pas : « Cet amour [des lois], demandant une préférence continuelle de l'intérêt public au sien propre, donne toutes les vertus particulières... » (De l'esprit des lois, IV, 5, éd. cit., p. 542). Le texte indiquant un effet souhaitable de l'éducation dans les républiques démocratiques, cet anachronisme hallucinogène ne manque pas de portée. Malgré Littré d'une part, Darmesteter et Hatzfeld d'autre part, l'Académie française n'a pas attendu 1835 pour admettre le mot : il figure dans le supplément au Dictionnaire de 1798. Il apparaît, pour la première fois semble-t-il, dans l'Année littéraire de 1770, dans une ambiance empruntée au Contrat social. Mais Rousseau ne l'a jamais utilisé. Marat l'emploie dans ses pamphlets à partir de 1790. Le gouvernement accordera des « certificats de civisme ». Mais, dans une acception qui nous paraît aberrante, civisme est alors pris dans un sens partisan (c'est la vertu des personnes favorables au régime) et, de même que son antonyme d'alors, aristocratique, porte moins sur les individus, leurs actions et leurs intentions que sur leur entourage ou leur groupe d'appartenance. Ainsi Mme Dupin de Francueil, grand-mère de George Sand, reçoit un certificat de civisme fondé avant tout sur la participation de ses gens à la prise de la Bastille. George Sand (Histoire de ma vie, 1re part., chap. v, Pléiade, I, p. 119) s'extasie sur cette transposition populaire de la communion des saints. Une évolution rapide va alors effacer la référence au groupe et la connotation partiale. Y ont probablement contribué la poursuite des guerres nationales avec l'exaltation corrélative du patriotisme, le développement et la normalisation d'une fonction publique, d'abord annexée par l'Empire, mais qui s'habituera bientôt à servir l'État et non le gouvernement, enfin la montée plus ou moins générale du libéralisme. Quoi qu'il en soit, le Dictionnaire de l'Académie française de 1835 définit à peu près civisme comme nous le faisons.

De nos jours, civisme s'entend de deux manières qui ne font d'ailleurs que moduler une signification unique : tantôt le terme désigne la conduite de personnes (des politiques) ayant un rapport spécifique à l'État et voudra dire dévouement à la chose publique, tantôt il désigne la conduite de personnes (des citoyens) ayant un rapport indifférencié à l'État et voudra dire sens des devoirs collectifs au sein d'une société. Les deux nuances s'associent et se mêlent, d'ailleurs, sans confusion ni perte sémantique : « Ce civisme [...], ce dévouement à la chose publique, en vertu desquels, tout en revendiquant son quant-à-soi, on estime devoir s'encadrer dans la communauté et collaborer à la vie sociale » (André Siegfried, L'Âme des peuples, p. 96, Hachette, Paris, 1952).

Cette définition n'est pas sans mérites : elle éclaire avec pertinence l'ambiguïté ou les ambiguïtés de la notion. D'un certain point de vue, le civisme se présente comme une vertu, comme un devoir ; mais, d'un autre point de vue, il se donnerait comme une médiation entre une figure de désintégration sociale et une figure de coalescence, c'est-à-dire que l'on hésite à décider s'il s'agit d'une valeur, accessible à l'exposition philosophique, ou s'il s'agit d'une démarche positive, effectuable selon un modèle historique et social. Comment le bien ou la justice pourraient-ils se subordonner à la contingence événementielle ? Comment des déterminations positives pourraient-elles se définir comme telles et en même temps se soumettre à des jugements de préférence ? C'est poser sur un point particulier toute la question[...]

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