CLADISTIQUE
Cladistique et ressemblances
La cladistique formalise la ressemblance en trois catégories non ambiguës. Deux organismes peuvent se ressembler parce que les traits qu'ils ont en commun sont soit dus à une ascendance propre, soit issus d'une ascendance plus lointaine et leurs caractères partagés existent aussi chez d'autres espèces, soit non liés à une origine commune.
Les deux premiers cas de ressemblances parlent d'ascendance. Le premier permet de reconnaître les clades. Le deuxième permet de reconnaître des grades qui, le plus souvent, désigne des groupes qui ne sont que des segments de branches, des groupes démembrés, sans histoire évolutive propre. Ainsi, les reptiles constituent un grade : ils sont représentés par tous les amniotes sauf les mammifères et les oiseaux. Le dernier cas de ressemblance peut être illustré par la bipédie de l'homme et du poulet dont on sait qu'elle est apparue dans l'histoire de la vie de façon indépendante avec des modalités fort différentes, il y a 230 millions d'années pour le clade des théropodes (auquel appartient le poulet) et il y a moins de 7 millions d'années pour celui des hominidés (auquel appartient l'homme).
La « fable » de la vache, du saumon et du dipneuste (souvent appelé « poisson pulmoné »), née lors d'un colloque tenu à Reading en Angleterre à l'automne de 1978, devenue célèbre dans le monde des évolutionnistes, permet d'illustrer à la fois le principe de la cladistique et les trois catégories de ressemblance (fig. 3). À cette époque, la cladistique était sur le devant de la scène, propulsée par les jeunes générations et décriée par les plus anciennes. À propos des parentés entre vertébrés, et spécialement entre les tétrapodes (vertébrés terrestres possédant quatre membres) et différentes formes aquatiques appartenant aux poissons, donc à nageoires (classe des Pisces des anciennes classifications), le raisonnement cladistique suivi par un conférencier fut critiqué en ces termes : « À vous entendre vous allez me faire croire qu'un dipneuste est plus proche d'une vache que d'un saumon ! ». Éclats de rire dans la salle, autant du côté de celui qui lança cette apostrophe que du côté des cladistes dont l'un répondit « bien sûr ! ».
Chez le saumon, les membres pairs antérieurs et postérieurs s'articulent avec les ceintures (épaule et bassin) par l'intermédiaire de plusieurs os (les anatomistes parlent de nageoires pluribasales). Chez un dipneuste, les nageoires paires sont particulières en ce sens qu'elles s'articulent avec les ceintures par l'intermédiaire d'un seul os (ce sont des nageoires monobasales). Cet os est appelé humérus à l'avant de l'animal et fémur à l'arrière. On aura compris que cette disposition préfigure les membres de tous les vertébrés tétrapodes, homme inclus. L'interprétation évolutionniste de ces observations est simple : ce type de nageoire monobasale est un premier stade de transformation des membres pairs en direction des vertébrés marcheurs. C'est un état dérivé, encore appelé apomorphe. La nageoire pluribasale est un état primitif ( état dit plésiomorphe) du membre pair. Autrement dit, les dipneustes et les tétrapodes partagent une apomorphie (on parle alors de synapomorphie lorsque le caractère est partagé) : la nageoire monobasale (présence d'un humérus et d'un fémur). Par rapport au saumon resté primitif sur ce plan, le dipneuste et la vache forment un clade. Pour les cladistes, le terme « proche » signifie « apparenté » mais ne veut pas dire nécessairement ressemblant : vue de loin et même de près, la nageoire des dipneustes ne ressemble pas à une patte de vache.
À l'inverse, regrouper le saumon et le dipneuste revient à construire un grade, celui des poissons, et non[...]
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Écrit par
- Pascal TASSY : professeur émérite du Muséum national d'histoire naturelle, Paris
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