CLAIR DE TERRE, André Breton Fiche de lecture
André Breton écrira encore !
La succession de ces différentes procédures créatrices, inverse de celle qui caractérisait Mont de piété, le recueil précédent, autorise une interprétation : retraçant les étapes du parcours iconoclaste du jeune mouvement surréaliste – explorations oniriques, collages, écriture automatique –, parti en guerre contre une conception traditionnelle de la littérature, ce voyage à travers les formes aboutit, table rase ayant été faite, à une nouvelle poétique, dont les poèmes en vers libres de la fin seraient l'expression. Le rappel final de la décision encore toute récente de ne plus écrire résonne alors non comme l'affirmation du principe fondateur à l'origine de ce qui précède, mais bien comme sa conclusion paradoxale, pour ne pas dire son démenti : ici, s'observerait donc, pour ainsi dire in vivo, la prise de distance du chef de file du surréalisme à l'égard de la pure négation dadaïste, mais également la victoire sur la « tentation du silence ». Cependant cette évolution n'a rien d'une révélation, comme pourraient le laisser croire certains poèmes apparemment programmatiques : « Plutôt la vie que ces prismes sans épaisseur même si les couleurs sont plus pures/ Plutôt que cette heure toujours couverte que ces terribles voitures de flammes froides/ Que ces pierres blettes/ Plutôt ce cœur à cran d'arrêt/ Que cette mare aux murmures/ Et que cette étoffe blanche qui chante à la fois dans l'air et dans la terre/ Que cette bénédiction nuptiale qui joint mon front à celui de la vanité totale/ Plutôt la vie ». Hésitante et chaotique, pleine de contradictions non résolues, elle donne un recueil hétérogène, toujours en équilibre entre hermétisme et lisibilité, pratiques « textructrices » et facture « classique ».
Au reste, c'est bien dans cette tension même, dans ce jeu des contraires (on sait le goût de Breton pour la dialectique hégélienne), dans cette « convulsion », que réside le principe à la fois éthique et esthétique qui sera réaffirmé l'année suivante, et avec quelle force, dans le premier Manifeste du surréalisme. Car, comme toujours chez Breton, pratique et théorie sont indissociables : le poème se fait manifeste, et le manifeste poème. Le titre du recueil, avec sa typographie particulière (les caractères se lisent en blanc sur fond noir), ainsi que la citation en épigraphe (« La terre brille dans le ciel comme un astre énorme au milieu des étoiles. Notre globe projette sur la lune un intense clair de terre. ») invitent à un renversement généralisé : clarté/obscurité, distance/proximité, positif/négatif, rêve/réalité, présence/absence, écrire/ne plus écrire constituent autant de couples antithétiques, dont la réversibilité toute baroque ouvre aux mondes encore inexplorés de la vraie poésie. « Le propre de la poésie », écrivit Aragon après la publication du recueil, « est de créer un monde. Mais, une fois sur mille, la poésie réinvente la lumière [...]. Le miracle de Clair de terre, sans doute est-ce un jour inconnu, duquel nous avions eu le pressentiment obscur au réveil certains matins d'enfance ou dans les contes de Madame d'Aulnoy ».
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Écrit par
- Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres
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