SIMON CLAIRE (1955- )
Capter une vérité intime
Claire Simon ne filme que des sujets qui la concernent vivement, voire très personnellement : portrait de Jean-Marie Barbe animateur d’Ardèche Images et des rencontres de Lussas qu’elle fréquente régulièrement (Le Fils de l’épicière, le maire, le village et le monde, 2021) ; celui de Mimi (2003), la solitaire au caractère bien trempé, vivant en résistance dans une vallée reculée de l’arrière-pays niçois ; à la Femis où elle enseigne, elle suit toutes les étapes de sélection du Concours (2017) qui s’étend de février à juin pour 1 250 candidats briguant 60 places ; et elle enregistre les amours d’été de sa propre fille avec le fils du boulanger du village du Var de son enfance (800 km de différence/Romance, 2002). Un défi (presque un tabou) superbement relevé grâce à une chronique attachée aux détails ; les errants insolites ou poétiques du bois de Vincennes où elle se promène en toutes saisons donnent vie au Bois dont les rêves sont faits, 2016 ; ou encore, dans une classe de première littéraire d’un lycée d’Ivry sont évoqués les rapports complexes de certains jeunes avec leur famille, ainsi que le regard qu’ils portent sur leur vie amoureuse ou la solitude (Premières Solitudes, 2018). Pour faciliter l’expression, Claire Simon évite le tableau de groupe comme le portrait individuel en conduisant à chaque fois ses entretiens avec deux ou trois personnes.
Loin des méthodes à l’origine du cinéma-vérité des années 1960 (Jean Rouch) puis du cinéma direct (Raymond Depardon), Claire Simon a mis au point un cinéma de dispositif, c’est-à-dire qui utilise prioritairement les moyens de la mise en scène. C'est ainsi que Vous ne désirez que moi (2021) se situe à l'opposé du « vécu » et du « pris sur le vif » qui distinguait ses précédents documentaires. Le film met en effet en abîme un entretien de Yann Andréa avec Michèle Manceaux datant de 1982 et publié in extenso en 2016, après la mort de Marguerite Duras en 1996 et de son amant en 2014. Or Claire Simon filme ce récit d'outre-tombe selon les codes et l’esthétique d'une fiction. Andréa est interprété par le comédien Swann Arlaud et l'actrice Emmanuelle Devos joue le rôle de la journaliste.
Le résultat est inattendu et passionnant. Avec ce texte qui fut une confession intime, mais déjà soumise aux codes de l’interview, et qui se trouve interprété par des acteurs professionnels filmés comme une captation théâtrale ou même dans un studio de cinéma, Claire Simon se trouve-t-elle à un tournant radical de son rapport créatif au cinéma ?
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Écrit par
- René PRÉDAL : professeur honoraire d'histoire et esthétique du cinéma, département des arts du spectacle de l'université de Caen
Classification
Média