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CLARÍN ou LEOPOLDO GARCÍA ALAS Y UREÑA (1852-1901)

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Ce redoutable critique, qui exerça de la tribune des plus grands journaux espagnols une véritable dictature littéraire, ce romancier qui écrivit aussi des contes, des poèmes et, à titre d'essai, quelques pièces de théâtre, faillit, bien curieusement, tomber dans un oubli définitif au début du xxe siècle. Réaction de délivrance à la mort d'un despote ? Ne serait-ce pas plutôt que Clarín avait trouvé des héritiers spirituels qui reprenaient à leur compte les éléments les plus valables de sa pensée ? L'Espagne qu'il avait connue (qu'en avait-il connu ?) était un pays depuis longtemps sur le déclin, en pleine confusion politique et idéologique, qui suivait comme à distance, et non sans difficulté à mesure que surgissaient des forces nouvelles, l'évolution socio-économique de l'Europe : une province vivant en marge, fière d'un passé au demeurant révolu, où Leopoldo García-Alas y Ureña, castillan de naissance, avait choisi pour se fixer une ville isolée, Oviedo. C'est dans sa retraite asturienne que, sous le masque de Clarín, il se forgeait une opinion, de là qu'il exerça sur le public une influence de plus en plus décisive, tout en recherchant, pour lui-même et pour ses compatriotes, une identité culturelle dont la « génération de 98 » devait reprendre la quête.

Anticlérical par orthodoxie

Si Clarín est surtout l'auteur d'une œuvre critique abondante, c'est un roman, La Regenta (La Régente, 1885), le seul « classique » que lui doive la littérature espagnole, qui lui a valu de passer pendant une longue période pour un anticlérical forcené. De fait, dans cette étude puissante et minutieuse de la société provinciale qu'il fréquentait, Clarín dépeint sans complaisance le milieu catholique de Vetusta, dont l'évêché constitue le foyer : nul doute que don Firmin de Pas, l'un des protagonistes, ne veuille assouvir dans l'Église sa volonté de puissance ; l'emprise de la religion sur la vie mondaine de Vetusta lui permet aisément, sous le couvert de l'habit, de vivre comme un aristocrate ou comme un grand bourgeois. Mais si Clarín dénonce les faiblesses d'un homme, ou même des hommes qui représentent l'Église, s'en prend-il pour autant à l'Église elle-même ? Il suffirait de parcourir ses œuvres pour être sûr en tout cas que la religion est à ses yeux l'une des valeurs humaines les plus hautes, et qu'il convient de la défendre et de la sauvegarder ; bien plus, pour se convaincre d'un mysticisme latent, qu'il n'a jamais caché, Clarín n'allait-il pas jusqu'à pleurer d'émotion en commentant sainte Thérèse ou saint Jean de la Croix, ne conseillait-il pas aux jeunes écrivains de se nourrir des mystiques ? L'anticléricalisme que d'aucuns lui prêtent ou lui ont prêté n'est rien d'autre finalement qu'une revendication de pureté, l'apparence d'une satire menée de l'intérieur par un catholique fervent, moraliste passionné : Clarín avait l'âme d'un réformateur ; il ne pouvait admettre l'ambition si temporelle ni la rapacité du clergé espagnol, car une Église corrompue et détournée de ses fins dénature la religion. Mais la présence dans son roman d'un Fortunato Camoirán – l'évêque de Vetusta – anti-héros évangélique, modèle de noblesse et d'humilité, est la meilleure preuve de ses intentions. Le Mal, pour Clarín, c'était l'hypocrisie et la mystification, symptômes de décadence. Les valeurs religieuses, elles, pas plus que les valeurs morales, n'étaient en cause : Clarín n'avait-il pas retenu comme sujet de thèse pour son doctorat les rapports entre la morale et le droit (1878) ? N'avait-il pas intitulé Cuentos morales (Contes moraux, 1896) l'un de ses recueils, en avertissant le lecteur que l'amour pour une femme ne lui avait jamais rempli l'âme autant que l'idée « du Bien, étroitement unie au mot qui lui donne vie et chaleur, Dieu » ? Ses contes, en général, seraient le meilleur commentaire de La Régente : en moraliste sentimental chez qui l'aspiration religieuse prolongeait des nostalgies d'enfance, Clarín avait soif de vérité : mais, s'il condamnait sans trêve l'Église des faux-semblants, il éprouvait le plus profond respect, voire une admiration empreinte de tendresse à l'égard de l'Église qu'il souhaitait – La Confesión de Chiripa (La Confession de Chiripa, 1895), El Frio del papa (Le Froid du pape, 1894), El Señor (Le Seigneur, 1892). C'était son attitude intérieure qui commandait la satire et donnait à sa personnalité une cohérence essentielle, une cohérence même immuable, comme dès longtemps fixée. Certains aspects historiques de l'Église d'Espagne étaient seuls en contradiction avec ses exigences.

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Écrit par

  • : lecteur à la faculté des lettres et sciences humaines de Nice
  • : ancien élève de l'École normale supérieure, docteur d'État, maître assistant à l'université de Poitiers

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