CLASSES SOCIALES Classe dominante
Une classe mobilisée
« S'il existe encore une classe, notent Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot dans Sociologie de la bourgeoisie, c'est bien la bourgeoisie », groupe apparemment composite où coexistent noblesse fortunée et familles bourgeoises, industriels, hommes d'affaires, banquiers, propriétaires terriens, hauts fonctionnaires, membres de l'Institut et généraux, mais conscient de ses limites et de ses intérêts collectifs, qui se maintient au sommet de la société, parfois depuis plusieurs générations.
La classe dominante travaille à sa construction par un processus d'agrégation des semblables (« endogamie ») et de ségrégation des dissemblables (« les nouveaux riches ») qui se réalise au sein de la famille élargie, dans « l'entre-soi résidentiel » des « beaux quartiers » et des lieux de villégiature, dans les écoles de la bourgeoisie, privées ou publiques, nationales ou internationales, dans les rallyes, les réceptions, les conseils d'administration, mais aussi les cercles, les clubs de golf ou les équipages de chasse à courre, processus indissociable d'un travail spécifique de sociabilité mondaine qui entretient et étend le capital social accumulé. Ce dernier se présente sous la forme d'un réseau durable de relations, de connaissances et de reconnaissances mutuelles plus ou moins institutionnalisées, c'est-à-dire aussi la somme de capitaux et de pouvoirs que ce réseau permet de mobiliser. Ce processus d'agrégation des semblables a fusionné, au fil du temps, la noblesse et la bourgeoisie et « les classes dominantes de tous les pays ». Aristocrates et grands bourgeois mobilisent dans le travail de légitimation de leur domination des indicateurs de durée – à commencer par « le château » –, le patronyme de « la lignée » ou de la « dynastie » résumant son capital symbolique. Pratique ancienne de la noblesse et de la grande bourgeoisie, « l'internationalisme » de la classe dominante se renforce avec l'internationalisation du capital.
Trois piliers, selon Éric Mension-Rigau, soutiennent l'éducation associée à la fréquentation assidue de ces espaces protégés : l'apprentissage de « la mémoire familiale » érigée en devoir fondamental ; l'apprentissage de « la distinction », perçue comme un bien ontologique transmis de génération en génération, qui rend l'appartenance sociale immédiatement identifiable dans les conduites, les gestes, le langage ; l'apprentissage de « l'excellence » associée à l'appartenance de longue date à l'élite et au souvenir constamment exalté des glorieux ancêtres. Ce triple apprentissage se traduit dans « la détente dans la tension » caractéristique de la façon d'être et du comportement de la classe dominante.
En dépit des rivalités symboliques (entre bourgeois et aristocrates convaincus de leur différence essentielle, entre owners et managers, établis et « parvenus », etc.) et de la concurrence intercapitaliste (fusions et acquisitions) qui traversent la classe dominante, la conscience de la communauté des intérêts vitaux sous-tend un « collectivisme pratique » (qui n'exclut pas « l'individualisme » affiché) dont témoignent les investissements philanthropiques, artistiques, médiatiques, politiques ou, plus prosaïquement, la vitalité des organisations patronales.
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Écrit par
- Gérard MAUGER : directeur de recherche émérite au CNRS
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