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CLASSES SOCIALES Classe ouvrière

L'éclatement du groupe ouvrier

Les conditions d'existence d'une classe ouvrière homogène ne sont ensuite plus réunies. Après les secteurs du textile et des mines, touchés dès les années 1950, les grandes restructurations s'accélèrent dans les années 1970 avec la désindustrialisation des vieux bassins d'emploi industriels, en particulier du Nord et de l'Est de la France. Ce sont les places fortes du monde ouvrier organisé, les secteurs économiques de travail industriel stabilisé, ancien et qualifié, qui entrent en déclin. La faillite d'une grande entreprise entraîne la décadence économique de la région qu'elle faisait vivre. Par le jeu des préretraites, certains parviennent à rester sur place, mais la génération de la crise subit le chômage ou un exode forcé, se traduisant notamment par l'allongement des migrations journalières de travail.

L'ampleur de ces modifications a des contrecoups sur l'ensemble du mode de vie ouvrier et entraîne une profonde crise de reproduction. D'abord confrontées au chômage, les familles ouvrières voient parallèlement s'enrayer les systèmes de promotion interne propres à beaucoup d'usines, alors même que les salaires stagnent. Progressivement, au cours des années 1980 et 1990, les réorganisations de l'usine scindent les groupes de travail constitués, délocalisent certaines unités de production pour contourner les résistances ouvrières. Les politiques de l'emploi (sous-traitance, combinaison d'une main-d'œuvre qualifiée et non qualifiée) divisent la communauté productive en travailleurs stabilisés (dépendant juridiquement de l'entreprise) et travailleurs extérieurs précarisés. Les réorganisations contribuent à individualiser le rapport de l'agent à la hiérarchie et permettent de passer outre au collectif ouvrier : la prime rétribue la personne, elle entre mal dans les catégories de revendications de salaire collectives (basées sur un système de qualification et d'ancienneté dans l'entreprise sur lequel chacun se positionne).

Lorsque le renouvellement de la main-d'œuvre non qualifiée s'opère autour de 1990, il est essentiellement réalisé par l'embauche d'intérimaires, jeunes sortis prématurément du système scolaire, sans qualifications, recrutés dans un bassin d'emploi très large. De leur point de vue, qui est celui d'une insertion professionnelle difficile, l'objectif est l'obtention d'un « vrai » contrat (à durée indéterminée), et leur vigueur à l'usine contraste brutalement avec la lassitude des O.S. recrutés durant les années 1970. Une dichotomie entre les « jeunes » et les « vieux » apparaît brutalement, handicapant l'insertion des premiers dans l'atelier et déclassant les seconds, puisque, à l'arrivée des intérimaires, correspond un fort accroissement des cadences et une crise du militantisme.

Selon le classement I.N.S.E.E., l'importance numérique des ouvriers en France est en diminution constante. Les actifs ouvriers étaient plus de 7 millions en 1982 et 6,5 millions en 1990. En 1999, leur nombre est passé juste au-dessous des 6 millions : en à peine dix ans, la catégorie socioprofessionnelle « ouvriers » a ainsi perdu 10 p. 100 de ses effectifs, principalement chez les non-qualifiés. Derrière ce déclin s'observe une recomposition du monde ouvrier, qui s'ancre dans une modification des structures d'emploi, avec en particulier l'évolution du rapport entre ses principaux groupes internes. La crise touche surtout les O.S., ceux de la grande industrie mais aussi ceux de l'industrie légère, du bâtiment et des travaux publics, de la mécanique et du travail des métaux, tandis que la part relative des manutentionnaires et des ouvriers du transport croît. De plus, on observe la transformation de la nature du travail et une réduction[...]

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Écrit par

  • : chargé de recherche en sociologie, Institut national de la recherche agronomique (Centre d'économie et sociologie appliquées à l'agriculture et aux espaces ruraux), Dijon
  • : chargé de recherche, Institut national de la recherche agronomique, première classe, chercheur associé au C.M.H.- E.T.T.

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