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CLASSES SOCIALES Classe ouvrière

La crise de reproduction du groupe ouvrier

Ces profondes transformations provoquent un infléchissement des luttes sociales : si l'on exclut les grands mouvements de 1936 et de 1968, le maximum historique du nombre de conflits en France est atteint en 1971 (4 350). La désyndicalisation accompagne le processus de désindustrialisation, et le nombre des journées non travaillées ne fait que baisser dans le secteur privé. Les actions revendicatives ouvrières prennent un caractère essentiellement défensif, sur le thème de la sauvegarde de l'emploi. L'opposition traditionnelle entre culture du travail syndicale et culture économique patronale s'effrite, et les syndicats intègrent progressivement une logique plus gestionnaire.

Les réseaux de sociabilité ouvrière sont particulièrement touchés par la crise économique. Celle-ci entraîne la disparition de métiers industriels traditionnels (ajusteurs, monteurs, tôliers) où se recrutait l'essentiel des militants ouvriers et empêche la reproduction sociale et culturelle de la génération ouvrière qui fut porteuse de militantisme. La figure du délégué d'atelier, nécessaire médiateur entre ouvriers et contremaîtres dans l'organisation taylorienne du travail, perd de son efficacité, et n'est plus à l'origine d'une culture d'atelier.

La perte d'emprise des travailleurs sur la destinée de leurs entreprises accentue la désagrégation des valeurs combatives de classe : l'éloignement des centres de décisions (concentration et internationalisation du capital) et l'intervention croissante de l'État affaiblissent l'efficacité des mouvements sociaux ayant pour cadre des unités usinières locales. En outre, la formation professionnelle ne passe plus par les réseaux internes à la communauté de travail (centre d'apprentissage, école professionnelle d'entreprise, syndicat) ; elle s'effectue en dehors de l'usine, à travers un enseignement professionnel formant à des emplois polyvalents et non plus à des métiers ouvriers, et dont les formateurs sont eux-mêmes de moins en moins d'extraction ouvrière.

Certains secteurs ou entreprises industrielles sont encore suffisamment protégés par un cadre syndical ou une culture de métier forte pour continuer à imposer la force du collectif ouvrier, comme dans l'électricité par exemple. Mais, dans l'ensemble, les organisations ouvrières déclinent en même temps qu'est remis en cause le rôle de l'élite des ouvriers qualifiés de la grande industrie, y compris dans les partis de gauche qui se dotent de cadres et d'élus de moins en moins ouvriers. La forme originale de politisation populaire qui associait soutien à la gauche politique et syndicale et sentiment d'appartenir à la classe ouvrière entre en crise : le déclin du vote de classe touche d'abord le P.C.F. puis, à partir des années 1990, l'ensemble de la gauche. La réticence populaire face à la droite parlementaire ne faiblissant pas, le vote F.N. mais surtout la non-participation s'affirment dans ces milieux. Cela tient d'un essor des jugements négatifs sur le fonctionnement du système démocratique, associé à des manifestations d'hostilité au personnel qui l'incarne – des phénomènes qui amènent à réfuter l'idée d'un apolitisme populaire synonyme de passivité ou d'indifférence.

Par son ampleur inédite, la crise économique contemporaine détruit des communautés ouvrières de travail et de vie : des communes entières sont sinistrées. Les mutations industrielles et le déclin du paternalisme patronal bouleversent le cadre de vie des ouvriers en provoquant l'apparition de nouvelles formes d'urbanisation fondées soit sur la ségrégation (paupérisation des grands quartiers H.L.M. construits dans les années 1960), soit sur l'éclatement (grands ensembles pluriclassistes[...]

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Écrit par

  • : chargé de recherche en sociologie, Institut national de la recherche agronomique (Centre d'économie et sociologie appliquées à l'agriculture et aux espaces ruraux), Dijon
  • : chargé de recherche, Institut national de la recherche agronomique, première classe, chercheur associé au C.M.H.- E.T.T.

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