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CLASSES SOCIALES Classes moyennes

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La crise des nouvelles classes moyennes à capital culturel

Pour en revenir au temps présent, l'intérêt de ces deux oppositions « supérieure »/« inférieure » et « anciennes »/« nouvelles » classes moyennes est de nous permettre de saisir les diversités toujours à l'œuvre aujourd'hui. Ces deux dimensions sont complémentaires, et offrent une lecture analytique de quatre grands ensembles permettant de cadastrer le domaine des classes moyennes. D'un certain point de vue, on pourrait dire que si Gustav Schmoller avait croisé ces deux axes, il aurait acquis soixante-dix ans d'avance sur la lecture bourdieusienne de l'espace social. Ces deux axes, dont nous verrons qu'ils ne se contentent pas de traverser les classes moyennes, mais bien la société dans son entier, méritent d'être analysés plus avant.

Empiriquement, les analyses en termes de mobilité sociale ou d'homogamie, qui révèlent les proximités et les éloignements entre groupes sociaux à partir de l'intensité des flux générationnels ou des échanges matrimoniaux, permettent de reconstituer rigoureusement un tel espace, en mettant en évidence l'opposition verticale entre les « classes moyennes supérieures » et les « classes moyennes intermédiaires », et celle, horizontale, qui permet de montrer l'opposition entre « nouvelles » et « anciennes » classes moyennes. Les « nouvelles classes moyennes supérieures » correspondant en particulier aux hauts fonctionnaires du public et aux professions académiques telles que les catégories enseignantes et de la recherche ; les « nouvelles classes moyennes intermédiaires », renvoyant notamment aux professions intermédiaires et employés du public, notamment aux professeurs des écoles ; les « anciennes classes moyennes supérieures », parmi lesquelles les chefs d'entreprise de plus de dix salariés ; et enfin les « anciennes classes moyennes intermédiaires », typiquement les artisans et les commerçants. Il s'agit plus d'une typologie axiale que de groupements clairement spécifiés, puisque les professions libérales, par exemple, disposant tout à la fois de ressources éducationnelles et économiques, sont en position ambiguë entre « anciennes » et « nouvelles ».

Au sein des classes moyennes, le second axe oppose nettement le pôle de la grande entreprise et avant tout de l'État, des titulaires de la fonction publique, des salariés à statut, d'un côté, aux indépendants, à la moyenne et petite entreprise, à la logique marchande, de l'autre. Il s'agit donc tout à la fois d'une opposition entre « gens du public et gens du privé », et entre des modèles sociaux de recrutement nettement opposés, qui mettent directement en jeu l'école.

Pour les principaux auteurs de la sociologie moderniste des décennies passées, la flèche du temps allait sans nul doute de la droite du schéma à la gauche, dans un courant de rationalisation fondé sur une légitimité bureaucratique typique, puisque la gauche est avant tout celle de la méritocratie scolaire et des diplômes. Face à cet espace social à deux dimensions et à quatre grands types, la difficulté est que, depuis les années 1980, la flèche du temps qui allait des anciennes aux nouvelles classes moyennes semble sinon brisée, en tous cas singulièrement tordue. L'expression même de « nouvelles classes moyennes salariées » a pris comme un goût amer. Ces difficultés ont un lien profond avec la détérioration des relations entre les classes moyennes et l'école comme institution centrale de recrutement, de reproduction sociale, mais aussi comme employeur.

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Écrit par

  • : sociologue, professeur des Universités à l'Institut d'études politiques de Paris

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Classes moyennes : schéma de G. Schmoller - crédits : Encyclopædia Universalis France

Classes moyennes : schéma de G. Schmoller

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