CLASSES SOCIALES Classes moyennes
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La crise des nouvelles classes moyennes
Les trois grandes tendances qui avaient fondé la dynamique des nouvelles classes moyennes salariées des années 1970 sont aujourd'hui compromises. La dynamique d'homogénéisation sociale est maintenant remise en cause. En comparaison internationale, le processus est clairement ébauché dans la plupart des pays développés, mais en France, il est avant tout visible par une analyse générationnelle des inégalités : si les inégalités entre seniors a fortement diminué à la fin du xxe siècle, celle des jeunes a sensiblement augmenté. La progression économique qui offrait une quasi-certitude de vivre mieux que la génération précédente s'est interrompue elle aussi. La sécurisation des parcours par l'expansion d'un État-providence solidaire et généreux laisse la place à un sentiment de précarité qui ne relève pas que du fantasme : à court comme à long terme, les capacités des acteurs sociaux à fonder des paris sur l'avenir se restreignent, en particulier pour les jeunes générations pour qui la perspective de la retraite n'est ni proche ni certaine. Les fondements mêmes de la croissance des nouvelles classes moyennes salariées sont alors déstabilisés. Surtout, un phénomène de re-patrimonialisation, lié au renchérissement de l'accès au logement, et l'inflation des titres mobiliers qui l'accompagne, tendent à dévaloriser le travail salarié par rapport à l'accumulation de biens patrimoniaux dans la famille.
Plus encore, un phénomène nouveau est apparu à partir des années 1990. L'influence conjointe de l'expansion scolaire et universitaire et du tournant de la rigueur, avec ses restrictions budgétaires et ses baisses de recrutements en particulier dans le secteur public, a suscité au sein des nouvelles générations un double mouvement d'abondance des titulaires de diplômes intermédiaires et une raréfaction des places disponibles. La multiplication des candidats pour des postes en nombre restreint implique alors des reclassements difficiles, et surtout des déclassements où le diplôme n'est plus le gage d'une entrée dans les professions intermédiaires. Par comparaison avec le monde anglo-saxon en particulier, un phénomène intense de dévalorisation des titres scolaires se révèle. Comment un tel phénomène est-il possible dans une « société de connaissance » (knowledge society) ? En réalité, cette dévalorisation révèle avant tout une distorsion entre spécialisations : les diplômes des disciplines offrant un savoir à valeur marchande (technologies, études managériales ou juridiques) connaissent une moindre déstabilisation alors qu'au contraire le capital scolaire le plus authentiquement culturel (philosophie, langues anciennes, histoire) connaît une forte dévalorisation.
Le doute profond qui se développe quant à l'utilité des titres scolaires suscite tout à la fois un certain désarroi, et, paradoxalement, une course forcenée aux études où, chacun anticipant une baisse du rendement des diplômes moyens, tous participent à une fuite en avant vers les études les plus longues, sinon les plus sélectives. Le surinvestissement scolaire va dès lors de pair avec un désenchantement vis-à-vis de l'école, vue comme incapable d'assurer une véritable promotion. En comparaison avec les pays anglo-saxons ou les pays émergents, il en résulte l'impression d'avoir raté, en France, le pari de l'entrée dans la knowledge society ; en même temps, certains observateurs affirment que le modèle européen continental de structure sociale fondée sur une forte classe moyenne égalitaire et salariée est une exception mondiale de moins en moins tenable dans l'économie globalisée. Du même coup, on se demande aussi ce qui est « nouveau », aujourd'hui, dans ces « nouvelles classes moyennes salariées » dont l'avenir[...]
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Écrit par
- Louis CHAUVEL : sociologue, professeur des Universités à l'Institut d'études politiques de Paris
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