Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

CLASSES SOCIALES Penser les classes sociales

Les critiques dominantes de la conception marxiste

Dans le champ intellectuel français des années d'après guerre jusqu'au tournant de la seconde moitié des années 1970, nul ne pouvait se dispenser de se situer par rapport au marxisme et à la représentation de l'espace social divisé en classes antagonistes qui en était solidaire. Les formes contemporaines de l'idéologie dominante ignorent ces dernières sur la base d'une triple critique (sans parler de la disqualification symbolique et politique du marxisme par le « totalitarisme » puis par l'effondrement du « socialisme réel »).

D'abord, la vision dichotomique prêtée au marxisme (en dépit des très nombreux développements consacrés par Marx et Engels à la « petite bourgeoisie », « Kleinbürger » et « Mittelstand » qui trouvent leur terre d'élection dans les textes politiques) ignore l'extension prise par les classes moyennes dans les sociétés industrielles les plus avancées, occupant progressivement tout l'espace et laissant à leurs marges quelques privilégiés (« les élites ») et quelques laissés-pour-compte (« les exclus »). Cette représentation qui recourt volontiers à la métaphore de la course cycliste, avec son peloton et ses échappés (Henri Mendras, La Seconde Révolution française : 1965-1984, 1988), a été ultérieurement relayée par la dichotomie in/out (inclus/exclus) mise en avant par Alain Touraine (1992), puis par des analyses qui, comme celle d'Anthony Giddens (1973), postulent une individualisation croissante de la société, rencontrant ainsi les postulats de l'individualisme méthodologique.

Ensuite, les « nouveaux mouvements sociaux » post-soixante-huitards, ouvrant de nouveaux fronts par rapport à la « contradiction principale » (le conflit « bourgeoisie/prolétariat » de la vulgate marxiste), ont dessiné de nouvelles frontières au sein de l'espace social, définissant ainsi de « nouveaux » conflits (et délimitant de « nouveaux » groupes sociaux : hommes et femmes, français et immigrés, parisiens et provinciaux, jeunes et vieux, hétérosexuels et homosexuels, etc.), qui traversent les classes sociales et, ce faisant, contribuent à les « dé-faire ».

Enfin, la représentation marxiste semble de plus en plus étrangère à la sociologie spontanée. La classe par excellence – « la classe ouvrière » – étant désormais « un monde dé-fait », économiquement, politiquement et symboliquement dévalué (Stéphane Beaud et Michel Pialoux, 1999), la conscience de classe, la classe mobilisée et les luttes de classe semblent pouvoir être remisées au musée de la sociologie.

Outre que la disparition de la scène politique, médiatique et intellectuelle, de la « bourgeoisie » ou des « fonctionnaires du capital », selon l'expression de Marx, semble moins évidente que celle de la classe ouvrière (Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, 2000), les classes sociales n'ont pas pour autant disparu des statistiques qui mettent en évidence la permanence des inégalités sociales : d'où un regain d'intérêt chez les sociologues (Paul Bouffartigue, 2004 ; Jean-Noël Chopart et Claude Martin, 2004). Ainsi, contrairement à une croyance commune, les classes populaires (ouvriers et employés) représentent toujours, dans un pays comme la France, la majorité de la population active (entre 55 p. 100 et 60 p. 100). Leur situation salariale reste très stable : aujourd'hui comme il y a vingt ans, un ouvrier ou un employé gagne 2,5 à 3 fois moins qu'un cadre. La massification de l'enseignement secondaire n'a pas vraiment atténué les inégalités de perspectives scolaires en fonction de la classe sociale d'origine : l'échec scolaire dans le primaire et au collège reste 4 à 5 fois plus fréquent chez les ouvriers que chez les cadres. Le chômage touche 3 ou 4 fois plus souvent les ouvriers ou les employés que les cadres. L'étude[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Médias

Karl Marx - crédits : Courtesy of the trustees of the British Museum

Karl Marx

Manifeste du Parti communiste - crédits : AKG-images

Manifeste du Parti communiste

Autres références

  • ALTHUSSER LOUIS (1918-1990)

    • Écrit par et
    • 4 570 mots
    ...se différencient de leur homonyme sociologique par leur caractère tridimensionnel : ils sont à la fois économiques, politiques et idéologiques. Les classes sociales constituent ainsi des configurations éminemment complexes et mouvantes. Par là, pas d'identification entre analyse marxiste et analyse...
  • ANTHROPOLOGIE POLITIQUE

    • Écrit par
    • 5 811 mots
    • 1 média
    Maisle concept de classes sociales fait problème ; son usage en anthropologie reste limité ou ambigu. La théorie marxiste paraissait elle-même inachevée, ou hésitante, en ce domaine ; et les ethnographes soviétiques reconnaissaient la difficulté en utilisant le terme « protoclasse ». La question de...
  • ANTHROPOLOGIE ÉCONOMIQUE

    • Écrit par
    • 5 153 mots
    ...problème reste celui du développement de l'inégalité dans les sociétés primitives et des conditions et voies d'apparition de formes primitives d'État et de classes sociales. Il est utile de rappeler que, dès ses formes les plus primitives, la société archaïque comporte déjà, sur la base de la division sexuelle...
  • ANTHROPOLOGIE DES CULTURES URBAINES

    • Écrit par
    • 4 429 mots
    • 3 médias
    ...espace polémique. Les sociologues étudiant les phénomènes de violence et d’anomie dans les ghettos sont régulièrement accusés d’adhérer aux théories de l’underclass et de porter un regard misérabiliste sur ces populations. Quant à ceux qui s’intéressent à d’autres aspects de l’organisation sociale des...
  • Afficher les 71 références