Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

CLASSES SOCIALES Vue d'ensemble

<it>Karl Marx</it> - crédits : A. Dagli Orti/ De Agostini/ Getty Images

Karl Marx

Depuis près de deux siècles, il n'est pas une réflexion développée autour de la question des classes sociales qui n'ait repris ou réinterprété la distinction canonique héritée du marxisme selon laquelle les classes sociales existent sous deux formes : la « classe théorique » ou « classe sur le papier », d'une part, et la « classe réelle », classe mobilisée, d'autre part. Karl Marx avait le premier, dans Misère de la philosophie (1846) à propos des « travailleurs », employé les termes « classe vis-à-vis du capital » et de « classe pour elle-même ». Une terminologie plus répandue de György Lukács, dans Histoire et conscience de classe (1923), distingue la « classe en soi » et la « classe pour soi ». L'illusion intellectualiste porte à confondre la classe construite par le savant, classe au sens logique du mot (« classe en soi ») avec la classe réelle, groupe capable de se reconnaître dans une identité collective et de se mobiliser pour la défense d'intérêts partagés (« classe pour soi »).

Or l'expérience ordinaire du monde social est sans doute plus proche d'un « inconscient de classe » que de la « conscience de classe » au sens marxiste. S'il est vrai, en effet, que la « classe théorique » permet d'expliquer les pratiques et les propriétés correspondantes et, en particulier, la mobilisation, tout au plus s'agit-il d'une « classe probable », ensemble d'agents susceptibles d'une mobilisation collective au prix d'un travail de représentation et de politisation. Ainsi peut-on comprendre que l'existence, attestée statistiquement de « classes sur le papier », n'exclue pas l'absence de mobilisation, « l'invisibilité » des classes sociales dans le champ politique (faute de représentants), dans le champ médiatique (en l'absence de « conflits sociaux » et de porte-parole reconnus) ou dans les différents champs de production symbolique (faute de producteurs intéressés). En fait, l'existence de classes mobilisées dépend, au moins pour partie, de la représentation que les agents se font du monde social et en particulier de leur croyance dans l'existence des classes sociales.

Le monde social peut être perçu et dit de différentes façons, selon différents principes de vision et de division, étant entendu que les regroupements qu'ils impliquent sont inégalement probables et stables. C'est pourquoi les luttes symboliques qui ont pour enjeu l'imposition et l'inculcation d'une vision « officielle » du monde social contribuent à faire ou à défaire les classes. Si, comme le remarquait Pierre Bourdieu en 1984 dans son article « Espace social et genèse des classes », publié dans Actes de la recherche en sciences sociales, « la probabilité de rassembler [...] un ensemble d'agents est d'autant plus grande qu'ils sont plus proches dans l'espace social [...] le rapprochement des plus proches n'est jamais nécessaire [...] et le rapprochement des plus éloignés n'est jamais impossible ». Dans la société française contemporaine, il faudrait montrer comment la vision de l'espace social divisé en classes antagonistes s'est défaite, comment, en d'autres termes, la représentation marxiste du monde social est devenue de plus en plus étrangère à la sociologie spontanée. Le déclin du marxisme dans le champ intellectuel français et celui du « parti de la classe ouvrière », le Parti communiste français (P.C.F.), dans le champ politique depuis le début des années 1980, ont ainsi favorisé le déclin de la croyance en l'existence de classes sociales (selon l'équation « le Parti, c'est la classe ouvrière ») et, partant, celui des classes sociales. Les luttes, sociologiques et politiques, théoriques et pratiques, explicitement ou implicitement dirigées contre la croyance performative en l'existence des classes sociales,[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Média

<it>Karl Marx</it> - crédits : A. Dagli Orti/ De Agostini/ Getty Images

Karl Marx

Autres références

  • ALTHUSSER LOUIS (1918-1990)

    • Écrit par et
    • 4 570 mots
    ...se différencient de leur homonyme sociologique par leur caractère tridimensionnel : ils sont à la fois économiques, politiques et idéologiques. Les classes sociales constituent ainsi des configurations éminemment complexes et mouvantes. Par là, pas d'identification entre analyse marxiste et analyse...
  • ANTHROPOLOGIE POLITIQUE

    • Écrit par
    • 5 811 mots
    • 1 média
    Maisle concept de classes sociales fait problème ; son usage en anthropologie reste limité ou ambigu. La théorie marxiste paraissait elle-même inachevée, ou hésitante, en ce domaine ; et les ethnographes soviétiques reconnaissaient la difficulté en utilisant le terme « protoclasse ». La question de...
  • ANTHROPOLOGIE ÉCONOMIQUE

    • Écrit par
    • 5 153 mots
    ...problème reste celui du développement de l'inégalité dans les sociétés primitives et des conditions et voies d'apparition de formes primitives d'État et de classes sociales. Il est utile de rappeler que, dès ses formes les plus primitives, la société archaïque comporte déjà, sur la base de la division sexuelle...
  • ANTHROPOLOGIE DES CULTURES URBAINES

    • Écrit par
    • 4 429 mots
    • 3 médias
    ...espace polémique. Les sociologues étudiant les phénomènes de violence et d’anomie dans les ghettos sont régulièrement accusés d’adhérer aux théories de l’underclass et de porter un regard misérabiliste sur ces populations. Quant à ceux qui s’intéressent à d’autres aspects de l’organisation sociale des...
  • Afficher les 71 références