Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

CLASSICISME

Comme d'autres termes généraux et vagues qui désignent une époque littéraire et artistique, un idéal esthétique et quelque groupement d'hommes poursuivant un objet analogue (Renaissance, âge des Lumières, romantisme, symbolisme), le mot «  classicisme » défie toute précision. Il y a des classiques dans toutes les littératures ; et, dans diverses langues de l'Europe, le substantif ou l'adjectif désigne en fait de préférence les auteurs de l'Antiquité grecque et romaine. Mais le terme de classicisme, impliquant un groupement d'écrivains ou d'artistes qui ont eu conscience de posséder un idéal commun et désignant des doctrines esthétiques aussi bien que des œuvres, ne convient guère qu'à la France de la seconde moitié du xviie siècle. Cela n'implique en rien un brevet de supériorité décerné à La Fontaine, Racine, Bossuet, Poussin, Le Brun, encore moins à Boileau, et refusé aux écrivains et artistes qui furent leurs contemporains en Angleterre (Milton, Dryden, Marvell, Jones) ou à ceux qui, en Espagne ou en Italie (Cervantès, l'Arioste, le Tasse, Palladio) les avaient précédés. Il est normal d'écrire l'histoire littéraire, artistique, musicale de presque tous les pays de l'Europe occidentale sans avoir recours à ce vocable de classicisme, qui suggère la volonté de réaliser, en accord avec un public partageant la même foi ou acceptant les mêmes conventions, un certain idéal artistique et même moral. Cela est impossible pour la France. Tout ce qui a suivi le classicisme français de Voltaire à Stendhal, Hugo, Gide ou Camus, ou d'Ingres à Cézanne, s'est posé en fonction de ce phénomène collectif français qu'est le classicisme, pour le combattre ou pour en extraire des leçons toujours actuelles. Au xxe siècle, et cela ne va pas sans quelque péril de conformisme intellectuel, le classicisme français semble n'avoir plus de détracteurs en France ; il est mieux compris qu'il n'a jamais été, il est loué avec plus de ferveur et même envié par les critiques et les artistes des autres pays, et, au premier rang d'entre eux, de ceux-là mêmes (l'Allemagne, l'Angleterre) qui l'avaient autrefois dénoncé comme un joug stérilisant.

Cette permanence du classicisme chez les Modernes impose un double objet à toute tentative d'élucidation de cette littérature et de cette esthétique qui fleurirent au xviie siècle et furent encore acceptées par une bonne moitié du xviiie : replacer dans son temps et dans son milieu ce mouvement, en en débarrassant l'interprétation d'une carapace scolaire qui l'a trop longtemps revêtu de clichés académiques ; mais aussi l'envisager dans sa postérité et dans sa persistante modernité, et beaucoup moins dans les doctrines classiques, longtemps surestimées, que dans les œuvres, toujours vibrantes de hardiesse juvénile. Lytton Strachey, T. S. Eliot, Paul Valéry, André Gide, Georges Braque, Albert Camus se rencontrent dans leur admiration pour cet art classique, tout « de pudeur et de modestie ». Nombreux sont les critiques du Nouveau Monde qui souscriraient à la formule d'un de leurs poètes, émigré assez longtemps dans l'Ancien Continent, Ezra Pound : « Toute critique est une tentative pour définir le classique. »

Quelques raisons très générales ont sans doute contribué à créer ce classicisme français sous le règne de Louis XIV : la convergence de tendances antérieures vers la constitution d'un ensemble littéraire comparable à celui des littératures de l'Antiquité ; les caractères sociaux de la littérature française d'alors, les écrivains étant proches des salons et de la cour et s'efforçant de plaire à un public dont ils estimaient les suffrages ; le goût français pour les discussions morales et esthétiques et pour les théories de[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : critique d'art
  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université Yale, Connecticut, États-Unis

Classification

Médias

Classicisme et baroque - crédits : Encyclopædia Universalis France

Classicisme et baroque

<it>Le Massacre des Innocents</it>, G. Reni - crédits :  Bridgeman Images

Le Massacre des Innocents, G. Reni

Versailles - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Versailles

Autres références

  • ANCIENS ET MODERNES

    • Écrit par et
    • 5 024 mots
    • 4 médias
    ...partisans des antiques, tel Roland Fréart de Chambray, dont l'Idée de la perfection de la peinture (1662) constitue le premier jalon important de la doctrine classique en France. Elle aura également des conséquences sur l'enseignement dispensé au sein de l'Académie royale de peinture et de sculpture...
  • L'ART DE LA RENAISSANCE EN FRANCE (H. Zerner)

    • Écrit par
    • 1 859 mots

    L'Art de la Renaissance en France (Flammarion, 1996) offre une démonstration de véritable histoire de l'art, qui ne quitte pas d'une semelle l'examen des œuvres elles-mêmes et des rares documents d'archives subsistants. C'est un travail de réflexion approfondie qui est ici proposé. Plutôt que de...

  • BAROQUE

    • Écrit par , et
    • 20 831 mots
    • 23 médias
    ...l'histoire de l'art, à l'établissement d'une série d'antithèses qui confrontent deux types d'esthétique. L'esthétique dite classique se caractériserait par la linéarité, le découpage de l'espace en plans séparés, la circonscription des formes et la prévalence du dessin. L'esthétique...
  • CÉZANNE ET LES MAÎTRES. RÊVE D'ITALIE (exposition)

    • Écrit par
    • 1 164 mots
    • 1 média
    Mais c’est surtout Nicolas Poussin, le Français formé à Paris puis installé à Rome jusqu’à sa mort en 1665 (le séjour à Paris de 1640 à 1642 ne fut qu’une parenthèse), qui va, à travers son interprétation idéale d’une nature étudiée sur le motif, rendre visible à Cézanne ce qu’il y a d’art dans...
  • Afficher les 12 références