CLASSIFICATION DU VIVANT
Classifications et évolution
Dès la publication des premiers textes fondateurs de la théorie de l'évolution, la dualité classification et phylogénie est apparente. Lamarck en 1809 distingue, d'une part, la classification et, d'autre part, la « distribution », c'est-à-dire l'ordre que la nature a suivi pour produire les organismes, concept que l'on peut assimiler à la phylogénie. Cinquante ans plus tard, Darwin reconnaît les deux concepts – classification et généalogie – mais il anticipe que nos classifications deviendront des généalogies. Pour lui, la classification n'est rien d'autre qu'une manière de restituer ce que l'on sait de la phylogénie. Si la notion est ancienne, le terme même de « phylogénie » n'apparaît qu'en 1866 sous la plume du zoologiste allemand Ernst Haeckel.
Darwin et la classification biologique
Le livre de Darwin, L'Origine des espèces, est connu, à juste titre, pour être la première formalisation d'un processus évolutif majeur – la sélection naturelle – bien plus que pour sa dimension taxinomique. Il contient toutefois des pages essentielles pour qui veut saisir ce que signifie une classification phylogénétique. Les fondements des débats qui seront menés au cours du xxe siècle à propos des relations entre classification et évolution y sont déjà exposés par Darwin. Les questions qui se sont posées, et se posent encore, peuvent se résumer aux interrogations suivantes : la classification doit-elle exprimer la phylogénie ? Si oui, comment y parvenir ? Et, par voie de conséquence, comment reconstruire la phylogénie ?
Lorsque la théorie de l'évolution s'est développée au xixe siècle, elle disposait des classifications mises au point par les systématiciens depuis Aristote. Darwin explique d'abord la raison d'être de ces classifications, jusque-là ignorée ou confusément entrevue : si un systématicien regroupe telle espèce avec telle autre plutôt qu'avec une troisième c'est en raison d'une histoire évolutive propre, c'est à cause de l'ascendance commune.
En second lieu, Darwin reconnaît que les degrés de ressemblance affichés par plusieurs espèces, sur lesquels on s'appuie pour regrouper telles et telles espèces dans une des catégories initialement codifiées par Linné (genre, ordre, etc.), rassemblent en fait deux types de caractères : ceux qui représentent les signes d'une parenté commune et ceux qui représentent la « somme des modifications ». Darwin souligne, dans La Filiation de l'homme (1871), qu'il est extrêmement difficile de reconnaître, parmi les caractères observés sur des organismes, ceux qui sont effectivement signes d'ascendance commune. Pour lui, « l'indication des lignes de descendance » peut être insignifiante par rapport aux différences très marquées qui correspondent à la « somme des modifications ». De la sorte, classer selon la ressemblance générale peut être considéré comme évident et apparemment sûr mais classer selon les indicateurs de lignes de descendance est la seule approche « naturelle », même si c'est plus difficile.
Cette conclusion de Darwin est très forte. Elle explique les tendances contradictoires à l'œuvre chez les classificateurs de cette époque et anticipe sur la persistance de celles-ci dans la biologie du xxe siècle. Conclure que ce qui est « correct » n'est pas « sûr » – et peut donc être faux – est considérable sur le plan de l'épistémologie. Darwin, avant les cladistes (cf. infra), annonce que les classifications phylogénétiques seront difficiles à atteindre et fragiles, mais elles seront les seules à pouvoir être qualifiées de « naturelles ». Ce qui signifie que toute classification vraie est nécessairement généalogique.
Sur le plan de la pratique[...]
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Écrit par
- Pascal DURIS : professeur en histoire des sciences, université de Bordeaux
- Pascal TASSY : professeur émérite du Muséum national d'histoire naturelle, Paris
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