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CLASSIFICATION, sociologie

Une classification est une représentation du monde ou d’une partie du monde. Elle est basée sur un principe de division et, le cas échéant, sur un principe de hiérarchie. Dans la préface des Mots et les Choses (1966), Michel Foucault évoque « une certaine encyclopédie chinoise » dans laquelle « les animaux se divisent en a) appartenant à l’Empereur, b) embaumés, c) apprivoisés, d) cochons de lait, e) sirènes, f) fabuleux », etc. Pour un esprit occidental moderne, la partition peut paraître saugrenue. L’exemple a cependant ceci de vertueux qu’il aide à comprendre qu’une classification repose sur des règles dont le sens et la légitimité sont historiquement et socialement déterminés. Dit autrement, ces règles sont le produit de jugements partagés à un moment donné ainsi que de luttes et de compromis évolutifs.

La première classification de l’industrie française, qui a été proposée en 1788 par M. de Tolosan (intendant général du commerce), partage les activités en trois registres en fonction de l’origine des matières premières utilisées : minérale, végétale ou animale. Dans une société alors dominée par l’agriculture, cette partition est directement débitrice des thèses économiques de l’école physiocratique. Pour François Quesnay, son chef de file, seules les ressources naturelles sont sources de richesse. Le travail de transformation de la matière étant jugé improductif, il ne fait pas sens en conséquence de s’y référer pour diviser les pratiques productives. Après la Seconde Guerre mondiale, le découpage de la population française en catégories socioprofessionnelles repose sur d’autres critères qui reflètent les évolutions d’une société qui a passé le cap de la révolution industrielle et au sein de laquelle le salariat est devenu une réalité massive. En 1954, la classification est structurée en deux niveaux. Les statisticiens distinguent neuf groupes, eux-mêmes subdivisés en une trentaine de catégories. Pour fabriquer des catégories à peu près homogènes, trois critères principaux sont alors retenus : le métier exercé, le statut (salarié ou non) et la qualification.

Le cas des catégories socioprofessionnelles est instructif d’un point de vue sociologique pour plusieurs raisons. Il montre d’abord la difficulté à ordonner un matériau empirique de façon parfaite. Jusqu’en 1982 et à défaut de pouvoir les intégrer dans une classe où ils partagent les mêmes traits distinctifs que les autres professions, les artistes, le clergé, l’armée et la police étaient ainsi rangés dans un même ensemble en dépit de nombreuses dissemblances. Seconde observation : parce que mieux équipées pour influencer les concepteurs des classifications, les professions les plus prestigieuses sont plus finement segmentées que les groupes à faible qualification. Preuve que, comme aimait à le répéter Pierre Bourdieu, la représentation du monde social est un enjeu de lutte sociale. Ces limites n’invalident pas pour autant l’intérêt des classifications. Grâce aux catégories socioprofessionnelles, il est possible de conduire des enquêtes qui servent à améliorer notre intelligence de la société et à alimenter en informations pertinentes les décideurs économiques, les responsables politiques, etc.

Une conclusion similaire peut être tirée à l’examen des classifications d’emplois utilisées par les acteurs des relations professionnelles (entreprises, syndicats de salariés, État). Ainsi qu’elles sont aujourd’hui produites par les organismes publics, ces classifications reposent sur deux principes : un principe d’exclusion (aucun emploi ne doit figurer dans deux rubriques de même rang) et un principe d’homogénéité (les emplois classés dans une rubrique doivent avoir un caractère commun). Nécessairement imparfaites elles-aussi d’un point de vue logique, ces classifications servent à identifier des métiers dans une branche[...]

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Écrit par

  • : professeur de sociologie au Conservatoire national des arts et métiers

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