HELVÉTIUS CLAUDE ADRIEN (1715-1771)
Né à Paris et fils du premier médecin de la reine Marie Leszczyńska, femme de Louis XV, Helvétius achète en 1738 une charge de fermier général qui lui rapporte bientôt 300 000 livres de revenus par an. Fortuné, il se consacre à l'étude, soutient matériellement ses amis philosophes et fréquente en particulier Montesquieu, Buffon et Voltaire. Renonçant à sa charge en 1750, il épouse l'année suivante Mme de Ligniville d'Autricourt, femme d'esprit dont le salon parisien attire les esprits éclairés de l'époque. Helvétius se retire progressivement dans sa propriété de Voré (Perche) et partage son activité entre l'étude, la création d'une manufacture, la rédaction d'écrits et ses séjours parisiens.
Ses premiers écrits de poésie et de mathématiques n'ayant eu aucun succès, il s'était dès 1749 tourné vers la philosophie. En relation avec les auteurs de l'Encyclopédie — dont les travaux débutent, tout comme l'activité « philosophique » d'Helvétius, à partir de 1751 —, il se fait connaître en 1758 avec la publication de son ouvrage intitulé De l'esprit. Influencé par Condillac et plus encore par Locke, il définit l'esprit de l'homme par l'ensemble des idées produites en celui-ci à partir des sens, et attribue une partie de nos idées et, par voie de conséquence, de nos jugements à la mémoire et à l'expérience. Ce sensualisme matérialiste — car toute idée provient des objets matériels qui ont produit en nous des sensations — le conduit à concevoir le caractère de l'homme comme une pure résultante des composantes dues à l'expérience, à l'éducation et au milieu social. Il tire les conséquences de telles prémisses : pour lui, les vertus ont pour uniques sources « la sensibilité à la douleur et au plaisir physique », donc un intérêt personnel défini par les réactions des sens en chaque homme ; de même « sans l'intérêt personnel, les hommes, affirme-t-il, ne se fussent point assemblés en société » (De l'esprit, disc. III, chap. iv). Par une telle conception du ciment de toute société politique, il est proche de Pufendorf et des encyclopédistes, qui voient également dans les besoins physiques la raison du rapprochement des hommes. La thèse toutefois sera combattue par Rousseau, car elle a pour corrélat que l'on conçoive la relation individu-société selon une arithmétique sociale empirique ; celle-ci fait de l'utilité publique — somme des concordances des intérêts personnels — et du « bien public » des prétextes à tous abus du pouvoir public contre les personnes. La critique de Rousseau est d'autant plus justifiée qu'Helvétius conclut avec logique que, dans une nation régie par l'utilité publique, « tout devient légitime et même vertueux pour le salut public ». Suivant les mêmes conceptions sensualistes est juste ce qui tend au bien public ; ce dernier fluctuant avec les circonstances et l'action vertueuse entraînant considération et mérite, Helvétius fait du législateur un nouveau moraliste dont l'action sera essentiellement pragmatique. Dans De l'homme, de ses facultés intellectuelles et de son éducation (1772), Helvétius prolongera cette réflexion en insistant sur l'art de gouverner une société conçue selon des prémisses sensualistes ; la tolérance et la liberté individuelle, l'éducation et l'exigence de bien légiférer y auront une place prépondérante ; il liera en particulier réforme de l'éducation et réforme de l'État, forme de gouvernement et morale sociale. Croyant que tous les hommes sont également susceptibles de s'instruire — ce qui était une conséquence logique de sa conception de l'expérience —, il s'opposera aux thèses formulées par Rousseau dans L'Émile et affirmera[...]
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Écrit par
- Yves SUAUDEAU : éditeur, fondateur d'Ouest Éditions
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