CHABROL CLAUDE (1930-2010)
Une descente aux enfers
Avec La Cérémonie, chef-d'œuvre de cette dernière période, la séparation des classes est radicale, tout autant que la conclusion. Plus question d'aborder de front une bourgeoisie qui n'est plus celle du temps de Pompidou ou de Giscard d'Estaing mais qui, près de trente ans après Mai-68, semble directement issue des « événements » : une famille Lelièvre compréhensive, libérale, paternaliste, en surface du moins... Face à elle, une postière (Isabelle Huppert) agressive, passionnée de lecture, et une « bonne à tout faire » (Sandrine Bonnaire) qui cache son analphabétisme, liées par leur situation sociale mais surtout par un crime ou un accident que chacune a peut-être commis ou subi... Le meurtre des Lelièvre, semblable au célèbre crime des sœurs Papin, surgit soudainement, malgré une lente maturation invisible. Rien à voir avec un quelconque combat « classe contre classe ». Au-delà de la fracture sociale de l'argent, la culture maintient les barrières : Mozart et Karajan contre Pascal Sevran et les Minikeums... Quand la télévision maintient les exploités dans une situation proche de l'analphabétisme, que la frontière entre « faire le bien » (la charité) et « faire le mal » (tirer sur les Lelièvre) ne peut plus être perçue, la société est au bord de l'implosion. « On a bien fait », concluent les meurtrières. En effet, puisque « rien ne va plus », selon le titre du cinquantième film de Chabrol reprenant l'idée balzacienne du vol et du crime comme fondements de la société.
Le doute, le mensonge, l'illusion marquent cette dernière période, dont un titre est également emblématique : le couple d'Au cœur du mensonge est pris dans un système de doute réciproque. Le peintre incarné par Jacques Gamblin, nouveau venu dans la « famille » des acteurs de Chabrol, doute, lui aussi, de son génie, tout en vivant de son travail de modeste professeur de dessin pour petites filles riches, et son épouse (Sandrine Bonnaire) en vient à le soupçonner de deux meurtres. Comédie policière interprétée par Michel Serrault et Isabelle Huppert, Rien ne va plus, aux accents proches du Lubitsch de Trouble in Paradise, semble faire exception. À la différence des héros des films précédents, le couple d'escrocs aux relations troubles (père, fille, complices, amants, amis...) se joue allègrement du mensonge et ne se trouve mis en danger que lorsqu'il doute de lui-même ou surestime ses capacités.
Merci pour le chocolat, écrit comme La Cérémonie avec Caroline Eliacheff, n'est pas moins terrifiant, même si l'opposition sociale reste ici sous-jacente et la violence hors champ, dans cette famille qui réunit une riche héritière et un virtuose de renommée internationale, sur fond de neutralité suisse. La perpétuation d'une société, d'une famille, d'un état de douceur, mais aussi d'indifférence et d'égoïsme inconscients est merveilleusement assumé par Jacques Dutronc et surtout Isabelle Huppert : la révélation d'un incident anodin fait peser un soupçon permanent qu'aucune conclusion ne vient régler définitivement sur les filiations, les relations, les amitiés, les affections de chacun... Avec ce cinquante-troisième film pour le cinéma, Chabrol reçoit en 2000 la consécration du prix Louis-Delluc. Il montre surtout qu'il a atteint une perfection dans la mise en scène qui lui permet de déployer une multiplicité de points de vue avec une réelle élégance, et de proposer une œuvre d'une rare opacité, sous les apparences de la plus extrême simplicité.
L'Ivresse du pouvoir dénonce les agissements d'une juge d'instruction nommée Jeanne Charmant-Killman et se moque d'une société pétrolière internationale protégée par les plus hautes instances de l'État français. Mais le film ne s'en tient pas là et offre une[...]
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
Classification
Média
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