DAUPHIN CLAUDE (1903-1978)
Né dans un milieu frotté d'intellectualisme (sa famille fréquentait Mallarmé à Valvins), Claude Legrand (qui devait devenir Dauphin pour le spectacle) était le fils de Franc-Nohain, fantaisiste fin-de-siècle, et le frère de l'infatigable animateur de radio Jean Nohain. Toutefois, il n'a fait qu'obéir à sa vocation propre en débutant au théâtre, comme décorateur et costumier de l'Odéon, à moins de vingt ans (1922).
C'est seulement en 1930 qu'il tient son premier rôle, dans Langrevin père et fils, l'une des ultimes comédies de Tristan Bernard. Un charme et une gentillesse à fleur de peau, qu'une voix légèrement nasillarde (mais parfaitement posée) souligne plutôt qu'elle ne gâte, vont lui valoir une carrière éblouissante à la scène. Il est à la fois romantique et cynique, nerveusement présent dans ses rôles et un peu en retrait de ses personnages, grâce à une ironie de type anglo-saxon. Il crée à la suite d'Espoir (1934) quantité de pièces de Bernstein au Gymnase, dans l'emploi de séducteur, et un peu plus tard Les Jours heureux de Claude-André Puget, Am-Stram-Gram (1941) et Une grande fille toute simple (1942) d'André Roussin.
Le cinéma l'a appelé d'abord pour reprendre son rôle de Langrevin (Jean de Limur, 1930). Il y transporte certaines facilités boulevardières, mais il y apprend l'art d'un jeu en demi-teintes, qui convient à son tempérament profond. Ses films les plus notables sont, à la veille de la guerre : Entrée des artistes (Marc Allégret, 1938), Battements de cœur (Henri Decoin, 1939), Menaces (Edmond Gréville, 1939) et Cavalcade d'amour (Raymond Bernard, 1939).
Après l'armistice, il poursuit en zone libre sa double carrière. Mais, après Félicie Nanteuil (Marc Allégret, réalisé en 1942, sorti en salles en 1945), film où se marque son évolution vers des rôles plus dramatiques, il profite d'un tournage en Suisse pour rejoindre les F.F.I., et il sera parmi les éléments adjoints à la division Leclerc qui libéreront Paris. Décoré pour sa bravoure, l'acteur se retrouve sans emploi au lendemain de la guerre. Une comédie farfelue qui échoue commercialement (Dorothée cherche l'amour, d'Edmond Gréville) et une performance physique audacieuse, desservie par un metteur en scène des plus médiocres (Cyrano de Bergerac, de Fernand Rivers) le montrent en 1945 à la recherche d'un second souffle. Grâce à sa parfaite connaissance de l'anglais, il interprète à Broadway Huis clos de Jean-Paul Sartre (1946), succès d'estime qui n'amorce pas une nouvelle carrière.
On le retrouve en France, acteur de composition dans Casque d'or de Jacques Becker (1952) qui le relance pour peu de temps. La décennie qui suit est marquée par quelques rôles intéressants à l'écran, en France (Le Plaisir, de Max Ophüls, 1952 ; Les Mauvaises Rencontres, d'Alexandre Astruc, 1955 – deux interprétations qui indiquent chez le comédien un vieillissement et une capacité nouvelle de frôler la névrose, loin des stéréotypes enjôleurs d'autrefois), mais aussi en Amérique (Phantom of the Rue Morgue, de Roy del Ruth, 1954, et surtout The Quiet American, de Mankiewicz, 1958). Parallèlement, Claude Dauphin interprète (en compagnie de l'autre Français de Hollywood, Louis Jourdan) un émule parisien de Sherlock Holmes dans une série de courts-métrages (généralement produits à Londres) où les deux compères se renvoient la balle avec une savoureuse distance par rapport aux conventions du genre policier. Brusquement, la maturité de Claude Dauphin éclate quand il interprète le film d'un débutant formé à l'école hollywoodienne, Jacques Deray (Symphonie pour un massacre, 1963) : sa sobriété s'y révèle pleine de force.
Mais ce sera surtout sa création à la scène de Mort d'un commis-voyageur [...]
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Écrit par
- Gérard LEGRAND : écrivain, philosophe, critique d'art et de cinéma
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