DEBUSSY CLAUDE (1862-1918)
Une œuvre nationale
Dès qu'il eut obtenu le prix de Rome, Debussy s'enfuit loin des officiels. À la villa Médicis, deux années durant (1884-1885), il boude et s'ennuie. La cantateL'Enfant prodigue, qui lui avait valu le prix, annonçait déjà une personnalité singulière. Elle ne va cesser de s'affirmer très vite, au grand scandale de ses maîtres. Déjà son envoi de Rome, Printemps, soulève des protestations. Le titre était prophétique : opposer à tout ce qui fut, et dont l'ombre paralyse, l'irruption d'une vivacité nouvelle. Mais c'est à sa trentième année que Debussy, après maints essais fort révélateurs (notamment tout un groupe de pièces pour piano), va atteindre à une maîtrise sans faille. Se succèdent alors toute une série de chefs-d'œuvre. Le Quatuor en 1893, et, l'année suivante, le Prélude à l'après-midi d'un faune. Puis, en 1898 les Proses lyriques composées sur ses propres textes et les admirables Nocturnes, à quoi succèdent aussitôt les Chansons de Bilitis. Puis, en 1902, Pelléas et Mélisande, sur le livret de Maeterlinck. C'est un désastre suivi d'un triomphe. S'ouvre alors pour le musicien le temps des difficultés intimes déjà évoquées. Il abandonne Lily et épouse Emma. Il compose les Estampes (1903) puis L'Isle joyeuse (1904). On voit s'accroître son besoin de fuite dans les suggestions mêmes de ses titres. La Mer, en 1905, et, achevés deux ans après, le sommet de son œuvre pianistique, les deux cahiers d'Images. Pour le piano encore, les douze premiers Préludes, composés de 1909 à 1910, à quoi succèdent les trois Ballades de François Villon et, en 1911, l'achèvement, après une dizaine d'années d'atermoiements, du Martyre de saint Sébastien. À partir de ce moment, il semble que l'anxiété s'accentue. La santé du grand musicien chancelle. L'année 1912 voit l'achèvement des admirables Images pour orchestre (Gigues tristes, Ibéria et Rondes de printemps) et, en 1914, formant avec l'époque un contraste tragique, ce sera la publication d'une des pages les plus extraordinaires de Debussy : Jeux. Après quoi, les tendances paraissent osciller. Il revient à une manière plus ancienne et plus facile avec les Épigraphes antiques pour piano à quatre mains ou, au contraire, à un art encore plus élaboré, avec le deuxième cahier de Préludes, les douze Études pour piano et les trois Sonates pour divers instruments qui ne sont qu'une partie d'un ensemble de six qu'il ne put malheureusement achever. Il avait aussi composé, dans une version pour piano, une œuvre pour la scène dont il n'acheva jamais l'orchestration, Khamma, sur un sujet exotique assez aberrant et dont il dut sentir le ridicule. Mais la partition est singulière. Elle annonce à la fois les jeunes écoles (Jolivet n'est pas si loin) en même temps qu'elle semble régresser – à cause de sa thématique d'un orientalisme à la fois retors et naïf – vers une esthétique plus ancienne. Debussy, après Pelléas, n'avait cessé d'être tourmenté par de nouvelles œuvres de théâtre. Il ne parvint jamais à réaliser son rêve. Un temps, il avait envisagé de mettre en musique Le Diable dans le beffroi et La Chute de la maison Usher d'après Edgar Poe ; les parties achevées et les esquisses de cette seconde œuvre ont été complétées par Juan Allende-Blin dans les années soixante-dix.
Il faut encore citer, sinon pour être complet, du moins pour ne rien omettre d'essentiel, quelques cahiers de musique rédigés à diverses époques, et dont quelques-uns sont admirables : la Petite Suite pour piano à quatre mains (1889, que Busser orchestrera) ; les Children's Corner (1906-1908), composés pour sa fille Chouchou (il en existe aussi une version orchestrale due à Caplet) une Rapsodie[...]
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Écrit par
- Luc-André MARCEL : compositeur, inspecteur principal de la musique au ministère de la Culture, Paris
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