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DEBUSSY CLAUDE (1862-1918)

La modification des références

La plénitude de l'œuvre de Debussy ne s'explique en grande partie que si l'on considère l'époque qui la vit naître et qui ignorait encore les grands bouleversements sociaux occasionnés par les guerres ; de là, ce porte-à-faux bienheureux qui tout à la fois l'isole et le sacralise. Il reste que Debussy a bouleversé profondément les références ordinaires touchant le beau et le vrai de l'art. Les modifications apportées sont multiples.

L'art vocal

Au théâtre, par exemple, il a rompu délibérément avec les traditions italiennes et tout le bel canto qu'elles impliquaient. Il emprunte à Wagner un type d'arioso (dont l'origine se trouve déjà dans les cantates de Bach), mais il le lave de tout l'expressionnisme dont le maître de Bayreuth l'avait chargé. Nous nous trouvons devant une déclamation très proche du langage parlé, et qui, prenant ses pouvoirs expressifs dans une retenue extrême devant les ambitus lyriques, se réserve d'admirables échappées dont la rareté et l'opportunité feront toute la puissance. Du reste, Debussy porta toujours un regard soupçonneux vers tout art vocal qui, selon lui, ne réalisait pas une symbiose assez pure entre le poème et la musique. Mais peut-être se soucia-t-il plus qu'on ne le dit, après Pelléas, de l'efficacité d'une conception semblable, et pensa-t-il que la musique pouvait risquer des équivalences et se délivrer des assujettissements trop exclusifs. L'évolution paraît sensible dans les divers cahiers de mélodies qui s'échelonnent sur toute sa carrière. Ils sont très importants, outre leur valeur propre, parce qu'ils ont renouvelé complètement les traditions héritées du lied, ou de l'aria. Debussy a donné naissance à un type nouveau de mélodie française, de structure savante, serrant le texte de très près et créant, avec le piano, un climat d'une étonnante richesse de suggestions.

Il faut noter que Debussy n'est pas un mélodiste, dans le sens ordinaire du terme : il aime peu écrire une ligne accompagnée de formules harmoniques. La voix collabore avec le piano et il est fréquent que celui-ci comporte les éléments linéaires les plus lyriques. Il y a là, dans cette économie de l'expression vocale, et, partant, du rapport humain, une pudeur assez semblable à celle d'Alceste. Une pointe de misanthropie semble éloigner l'art de Debussy de toute forme d'art trop exclusivement soucieuse d'exprimer les « grands thèmes » de l'humanité. Son aristocratie native répugne à ces généralités de mauvais goût.

L'écriture pianistique

Dans l'écriture du piano elle-même, nous retrouvons une autonomie semblable. Pas de précédent à cet art du clavier. Tout est modifié, et, d'abord, la technique digitale. Il faut apprendre à travailler avec des mains d'acier un velours profond, sans quoi les sonorités deviennent molles et irrégulières. Debussy aime les accords somptueux, les irisations, les oppositions des registres, les rythmes savants, tour à tour voilés ou au contraire incisifs. Son piano sonne comme chez nul autre, et il exige de la part des interprètes une exclusive amoureuse très particulière, à quoi de très grands virtuoses, quelquefois, ne savent pas atteindre. Mais il faut remarquer, et la chose est grave, que toute une tradition assez fausse, découlant des difficultés redoutables de cette écriture – et aussi de ce que l'on a prétendu au sujet du jeu de Debussy au piano – tend à conférer à cette musique une langueur excessive. Il suffit pour juger de cela d'examiner les tempi métronomiques indiqués quelquefois par Debussy et qui sont beaucoup plus rapides que ceux que l'on entend. À les jouer dans le tempo exact, on s'aperçoit que l'art de Debussy est beaucoup plus chaud, voire passionné, et disons le mot, orchestral que ce que l'on nous présente. Si son piano[...]

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Écrit par

  • : compositeur, inspecteur principal de la musique au ministère de la Culture, Paris

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Médias

Claude Debussy - crédits : Henri Manuel/ Hulton Archive/ Getty Images

Claude Debussy

Ernest Ansermet - crédits : Erich Auerbach/ Hulton Archive/ Getty Images

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