LORIUS CLAUDE (1932-2023)
Des bulles dans un glaçon
En 1957, Claude Lorius passe l’hiver à la station Charcot, en Antarctique, après avoir répondu à une petite annonce parue en 1955 à l'université de Besançon : « On recherche jeunes étudiants pour participer aux campagnes organisées pour l'Année géophysique internationale. » Il y reste un an dans l'isolement avec deux autres compagnons, connaît les longs mois de nuit, les grands froids de l'hiver et la solidarité de cette petite équipe dans les épreuves. Deux ans plus tard, il participe à un raid d'exploration mené par les Américains dans l’est de l’Antarctique pour échantillonner la neige de surface. Pendant près de cent jours, ils parcourent environ 1 400 kilomètres dans un voyage qui s'achève par la découverte d'une chaîne de montagnes.
Mesures des températures sur le terrain et, au retour, analyses des échantillons de neige prélevés conduisent à une première découverte : la proportion d'isotopes lourds de l'hydrogène et de l'oxygène dans la neige est un indicateur de la température à laquelle elle s'est formée (plus il fait froid, moins il y a d’isotopes lourds et inversement, d’où la notion de « thermomètre isotopique »). Il devient ainsi possible d'entreprendre la reconstitution du climat passé à partir des carottages en profondeur dans la glace (qui résulte de l’accumulation de la neige et de son tassement sous l’effet de son propre poids).
En 1965, en terre Adélie (Antarctique), Claude Lorius observe fortuitement des bulles d'air pétillantes qui proviennent des glaçons d'un forage fondant dans un verre de whisky. Ces bulles de gaz emprisonnées dans les glaces seraient-elles des témoins de l'atmosphère du passé ? Il faudra des années pour justifier cette intuition.
De 1974 à 1976, c'est l'aventure, toujours en Antarctique, du dôme C (75° 06’ S, 123° 20’ E ; site qui accueillera la base permanente franco-italienne Concordia dont la construction s’achèvera au début 2005) : le carottage qui y est réalisé atteint 900 mètres de profondeur. Il contient 40 000 ans d'archives couvrant une partie du dernier âge glaciaire et la totalité de la période chaude que la Terre connaît depuis un peu plus de 10 000 ans.
En 1984 commence la « mythique » expédition à Vostok, base soviétique installée au point réputé le plus froid sur la Terre, où l'on a enregistré jusqu'à –89 °C. En pleine « guerre froide », chercheurs américains, français et soviétiques collaborent avec le support de l'US Navy, malgré plusieurs chutes de leurs avions. Même si le caractère international de l'Antarctique est reconnu, cette campagne est exceptionnelle du point de vue géopolitique. Elle le sera également sur le plan scientifique : la récupération des carottes obtenues par les Soviétiques jusqu'à une profondeur de 2 200 mètres, convoyées par les Américains, analysées dans des laboratoires français, va permettre de connaître le climat terrestre sur une période de 150 000 ans – à partir de l’analyse isotopique de la glace – et la composition de l'atmosphère en dioxyde de carbone (CO2) et en méthane (CH4) – à partir de celle des bulles d’air qui y sont piégées. Un lien étroit entre climat et gaz à effet de serre est alors mis en évidence ; jamais les teneurs en CO2 et CH4 n’ont été aussi élevées par le passé. Cette découverte deviendra un facteur essentiel de la prise de conscience du rôle joué par les émissions de ces gaz dues aux activités de l'homme vis-à-vis du climat de notre planète. Nombre de scientifiques prévoient alors que celui-ci devrait se réchauffer au cours du xxie siècle, au risque d'affecter les conditions de vie des humains.
Si le réchauffement de la planète dû aux émissions anthropiques de[...]
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Écrit par
- Jean JOUZEL : directeur de recherche au Commissariat à l'énergie atomique, directeur de l'institut Pierre-Simon-Laplace des sciences de l'environnement global, président du conseil d'administration de l'institut polaire français Paul-Émile-Victor
Classification
Média
Autres références
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JOUZEL JEAN (1947- )
- Écrit par Dominique RAYNAUD
- 970 mots
- 1 média
À partir de l’hiver de 1957, le glaciologue Claude Lorius part en mission en Antarctique. De chacune de ses campagnes, il revient avec des échantillons de glace pour qu’en soit mesuré, au laboratoire de géochimie isotopique de Saclay, la proportion d’isotopes lourds de l’hydrogène, un indicateur...