MONET CLAUDE (1840-1926)
Les séries
Chez Monet, l'instantané n'est jamais, comme chez Degas, celui d'un mouvement, ou, comme chez Renoir, celui d'un moment de plaisir, mais un pur instantané atmosphérique, même dans ses paysages urbains. Ses célèbres vues de La Gare Saint-Lazare (musée d'Orsay, Paris) ou du Pont de l'Europe (1877, musée Marmottan) avec la lumière tombant des grandes verrières sur les vapeurs des locomotives sont des visions aussi justes que poétiques de la vie contemporaine.
C'est peut-être en peignant plusieurs versions de La Gare Saint-Lazare que Monet eut l'idée d'exécuter des séries, de reprendre systématiquement le même motif sous des éclairages divers. Avec les années quatre-vingt, on assiste à une sorte de dispersion des impressionnistes, et l'exposition de 1886 sera la dernière du groupe. À partir de 1881, Monet expose seul et suit dans sa peinture une voie de plus en plus personnelle. En 1878, il s'est installé à Vétheuil, puis, en 1883, à Giverny qu'il ne quittera presque plus jusqu'à sa mort, quelque quarante ans plus tard. Seuls des voyages en Méditerranée (Bordighera, 1884 ; Antibes, 1888), en Bretagne (Belle-Île, 1886), à Venise (1908 et 1911), en Norvège (1895) ou à Londres (1888, 1901), voyages dont il rapporte chaque fois des séries dont le sujet principal est l'eau et la multiplicité de son apparence, vont couper une approche de plus en plus hallucinée et obsessionnelle de quelques effets lumineux sur un nombre d'objets de plus en plus modeste et restreint. En 1890-1891, il peint et expose les premières « séries » systématiques de Peupliers et de Meules en essayant d'en traquer, à des moments divers de la journée, une vérité visuelle fugitive : « Je pioche beaucoup, je m'entête à une série d'effets différents [...], plus je vais, plus je crois qu'il faut beaucoup travailler pour arriver à rendre ce que je cherche, l'instantanéité, surtout l'enveloppe, la même lumière répandue partout, et plus que jamais les choses venues d'un seul jet me dégoûtent. » Sous cette apparente modestie d'intention et de sujets – après Les Meules, ce seront, en 1893-1894, les Cathédrale de Rouen (musée d'Orsay, Paris), puis, jusqu'à sa mort, Les Nymphéas de son jardin –, les ambitions de Monet sont grandes. Ce n'est plus, comme à l'époque précédente, un paysage-spectacle, mais un secteur restreint de ce paysage, scruté dans sa vérité matérielle, avec une technique dédaignant de plus en plus les volumes et les valeurs pour ne s'intéresser qu'aux effets tactiles et lumineux. La pâte s'épaissit, les formes se dissolvent en une effusion de matière et de couleur qui veut signifier plus qu'une apparence : un « instant de la conscience du monde ».
Après avoir été porté aux nues, au tournant du siècle, par une sensibilité formée au bergsonisme et au lyrisme naturiste des « données immédiates de la conscience », les générations suivantes vont reprocher à Monet sa passivité devant la nature, son laisser-aller à la seule vision. C'est en isolé, adulé du grand public qui avait peu à peu admis l'impressionnisme, mais coupé des artistes des générations suivantes, tournés de préférence vers les recherches de Cézanne (à qui pourtant Monet survit vingt ans), que Monet poursuit, de 1885 environ à sa mort, en 1926, de l'époque de Seurat, puis des nabis, à celle du cubisme et de l'abstraction géométrique, une peinture désaccordée avec celle de son temps. Il faut attendre les années 1950 pour que l' abstraction lyrique trouve en lui sa source et son maître. À la fin de sa vie, avec une indépendance souveraine, il peint sur de très grands formats de furieuses proliférations végétales, suspendues (Glycines, 1919, Oberlin Museum, Ohio ; Jardin à Giverny[...]
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Écrit par
- Françoise CACHIN : directeur des Musées de France, président des Musées nationaux
Classification
Médias
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