NOUGARO CLAUDE (1929-2004)
Un des maîtres de la chanson française, Claude Nougaro a représenté dans le champ artistique une figure de métissage culturel qui puise ses racines dans la France populaire, l'Occitanie et les États-Unis d'Amérique. Seules les formes non écrites de la poésie savent toucher un vaste public, et Nougaro a confié à la chanson la mission d'exprimer son élan lyrique.
Claude Nougaro naît le 9 septembre 1929 à Toulouse, ville rose, hispanique et cathare qu'il magnifiera dans Toulouse en 1967. Artistiquement, il est un héritier : père baryton à l'Opéra de Paris, mère professeur de piano. Mais c'est sur Radio-Toulouse, chez ses grands-parents qui l'élèvent, qu'il découvre le jazz (il écrira Armstrong en 1966) : il lui restera passionnément fidèle, comme aux chansons de Piaf ou de Trenet. Mauvais élève, il sera aussi mauvais militaire dans la Légion étrangère au Maroc et fera du journalisme alimentaire au Journal des curistes de Vichy ou à L'Écho d'Alger. À Saint-Germain-des-Prés, il se lie avec Jacques Audiberti (Chanson pour le maçon, 1966), auquel il vouera une amitié indéfectible. Au cabaret montmartrois du Lapin agile, il lit des poèmes et chante ses premières chansons. Parolier pour Philippe Clay, Marcel Amont, Dario Moreno, Jean Constantin (Les Pantoufles à papa) ou Marguerite Monnot, c'est vers les hommes du jazz français, Michel Legrand au premier rang, qu'il se tourne véritablement. Le 33-tours Il y avait une ville paraît en 1958. Le vrai succès vient lorsque Nougaro fusionne l'écriture de chansons avec les événements de sa vie privée : Je suis saoul (1964) est une amusante pochade, Cécile, ma fille (1963) dit comment le désir d'enfant avec l'épouse aimée l'emporte sur le malthusianisme du célibataire. D'autres titres étonnent, en ces temps de yé-yé imbécile, par leur façon d'exprimer dans l'euphémisme à la fois l'aigre-doux de la guerre des sexes (Les Don Juan ou Une petite fille en 1962), et la double attirance pour la chanson française et le jazz américain (Le Jazz et la java, 1962). Par ailleurs, sa passion conjuguée pour la musique d'outre-Atlantique et le cinéma devient le fondement d'une inspiration prise dans le chassé-croisé des mythologies des années 1960 : Chanson pour Marilyn, Le Cinéma, À bout de souffle (à partir du Blue rondo à la Turk de Dave Brubeck)... Le mouvement de Mai-68 lui inspire Paris-mai, plus lyrique que politique. Il s'oriente résolument vers des musiques venues du Brésil ou d'Afrique (Locomotive d'or, 1973), et enregistre tant avec Eddy Louiss qu'avec Baden Powell, dont il adapte Berimbau sous le titre de Bidonville (1966). Il développe en même temps la dimension scénique de son talent : l'Olympia ou Bobino lui permettent de donner libre cours à la fois à l'énergie animale qui l'habite et à un talent de troubadour généreux, à travers une diction articulée où s'entend un phrasé du Sud-Ouest qui redonne souffle à la langue française. Ce fataliste amoureux de la vie écrit des morceaux comme Dansez sur moi (1973) ou Tu verras (1978), comme autant de pieds de nez adressés à la mort ou à l'usure de l'amour. Tandis qu'il tourne avec le trio de Maurice Vander, Pierre Michelot et Bernard Lubat, la relative désaffection du public dans les années 1980 est interrompue par Nougayork (1987), un succès commercial paradoxal qui tentait une évocation de New York dans une orchestration funky qu'on ne lui connaissait guère et qui fit souhaiter que l'artiste rejoigne les musiciens de swing, sa vraie famille. Les albums des dernières années furent sans doute de moindre importance (Embarquement immédiat, 2000). Les Fables de ma fontaine disent cependant l'amour des mots dans un dialogue gourmand avec le fabuliste. Mais Nougaro était malade depuis[...]
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Écrit par
- Michel P. SCHMITT : professeur émérite de littérature française
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