OLIEVENSTEIN CLAUDE (1933-2008)
Claude Olievenstein est né à Berlin en 1933. Avec le Centre Marmottan qu'il a fondé en 1971, ce médecin psychiatre a été durant trente années de carrière la figure de proue de l'école française du soin aux toxicomanes. Personnage charismatique, il s'est fait le garant d'une éthique de soin qui refuse l'enfermement, dans le respect du choix des patients. Confronté pendant son enfance au nazisme et à l'antisémitisme, il n'a cessé d'affirmer le devoir de révolte contre « la haine, le mépris, les certitudes, l'ordre » au nom des valeurs de l'humanisme.
Olievenstein fait ses études de médecine à Paris ; il suit l'enseignement du professeur Pierre Baruch tout en se réclamant de Freud. Interne à l'hôpital de Maison-Blanche puis de Villejuif, il dénonce l'institution asilaire, dans le droit fil des idées de Mai-68, de l'antipsychiatrie à Michel Foucault. Il est également influencé par le mouvement psychédélique lors d'un voyage en Californie en 1967. En 1968, il soutient sa thèse de médecine, qu'il consacre au LSD. Psychiatre, il reçoit ces jeunes drogués qui refusent les soins en psychiatrie, à l'époque seule réponse institutionnelle. À la recherche de réponses mieux adaptées, le docteur Olievenstein va sur les quais de la Seine, à la rencontre de ces jeunes marginaux, offrant des consultations sur place comme les free-clinics à San Francisco. Le centre expérimental de cure qu'il crée à l'hôpital Marmottan à Paris offre aussi un lieu de vie et un refuge. Rien n'est imposé, la demande de soin est volontaire, sous le couvert de l'anonymat et de la gratuité. L'accompagnement s'interdit tout jugement moral et reconnaît la dimension du plaisir. La toxicomanie est définie par « la rencontre d'une personne, d'un produit et d'un moment socioculturel » (de l'anglais drug, set and setting). Dans une perspective psychodynamique, il élabore le concept de « miroir brisé » pour rendre compte, chez le toxicomane, de la liquidation partielle, inachevée, du stade fusionnel avec la mère. Sous son autorité absolue, Marmottan devient rapidement le centre de référence d'un dispositif institutionnel avec trois étapes, le sevrage physique, l'isolement d'avec le milieu et la psychothérapie spécifique. Se réclamant d'une même éthique thérapeutique, ce dispositif français s'oppose aux communautés thérapeutiques fondées sur la contrainte ainsi qu'à la prescription de méthadone, qui n'aurait pas de justifications médicales, la toxicomanie étant considérée comme le symptôme d'une souffrance psychique.
Ni malade ni délinquant, ces principes de l'école française vont à l'encontre de la loi de 1970 avec l'alternative « traitement ou incarcération ». Le docteur Olievenstein en est conscient et gère savamment les contradictions entre un discours public qui doit rassurer l'opinion et les exigences d'une clinique qui affirme la liberté de choix. Pendant les années 1980, la politique officielle de soin est imprégnée de ses conceptions, résistant à l'exigence de traitements obligatoires. Face au sida, il prend position pour la vente libre des seringues en pharmacie dès 1985, une mesure prise en 1987 par Michèle Barzach, ministre de la santé. L'épidémie de sida exigerait aussi que les toxicomanes puissent soigner leurs nombreuses pathologies somatiques. Or faute de traitements de substitution, les suivis médicaux sont inexistants ou chaotiques, alors que les actions de prévention sont censées faire appel à la responsabilité des usagers de drogues. C'est la politique de santé dite de « réduction des risques » qui donnera enfin à l'usager les moyens de protéger sa santé. Après trois ans de débat public, cette politique est mise en place en 1994 par Simone Veil. Progressivement,[...]
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Écrit par
- Anne COPPEL : sociologue
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