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ROYET-JOURNOUD CLAUDE (1941- )

Exigeante et solitaire, l'œuvre de Claude Royet-Journoud occupe une place importante dans le cadre de la poésie française du dernier quart du xxe siècle. Portée à une rare intensité d'énigme, à la limite de la raréfaction, son écriture résulte cependant d'un engagement vital, quasi physique. L'effacement que l'on aurait tort de prendre pour un parti pris esthétisant, est inséparable ici d'une « impossibilité de mentir », d'une exposition endurante aux articulations qui font la chair des phrases, leurs turbulences intraitables.

Une tétralogie, fruit d'une élaboration de vingt-cinq années, constitue l'œuvre principale de l'auteur : Le Renversement (1972), La Notion d'obstacle (1978), Les objets contiennent l'infini (1983) et Les Natures indivisibles (1997). La lenteur du travail témoigne du refus d'user de la langue pour la mettre au service de l'expression du moi et de ses élans lyriques. Refus de la représentation, du symbolique, constituent les raisons d'être de l'œuvre. Si les objets font « obstacle » c'est peut-être parce qu'ils « contiennent l'infini », et si le dernier mot du dernier livre est « fin », cela ancre le texte dans la matérialité d'une finitude incarnée. Rien d'abstrait ou d'édulcoré, même si l'on sait que derrière chaque poème il y a plusieurs pages de proses qui en ont été comme l'enfance gommée, usée, afin de parvenir à ces « restes » lisibles, ajourés, mangés d'espace, ouverts à leurs dehors. « L'Amour dans les ruines » (quatrième partie des Objets contiennent l'infini) donne un exemple de ces proses brutes, sèches. Les blancs sur la page – « Travailler le blanc. Le pousser. Lui donner des mots. » (Les Objets contiennent l'infini) –, les ponctuations, la disposition des blocs de phrases sont comme un dépôt résultant d'une lutte menée contre la parole facile, en vue de parvenir à la plus grande densité. Si rien ne permet de retrouver derrière le texte donné les traces d'un texte primitif dont elles seraient comme la traduction, il faut noter que le travail sur (c'est-à-dire contre et avec) le biographique s'y affirme de façon exemplaire. Cartographe attentif aux séismes et bouleversements quasi imperceptibles de ce qui bouge sous les apparences, Claude Royet-Journoud affirme dans Les Natures indivisibles : « La proposition est une mesure du monde. » Pas de fétichisation du langage toutefois, les vocables sont comme réduits, « sans étendue » ; s'ils prennent mesure du monde c'est seulement pour en occuper les bords : « c'est au bord d'une phrase / d'une terreur sans objet / ils se mettent en mouvement / ils s'enfoncent dans la terre » (La Notion d'obstacle). Le souci de la construction se retrouve non seulement dans la mise en page des textes aux architectures variées, aux rythmes divers – on passe de l'effraction violente, des attaques brusques à la plus extrême lenteur –, dans la composition des volumes, mais aussi dans la savante disposition des quatre livres qui se répondent, se font face, s'annulent, créant l'espace d'une mise en scène où le sens affleure à même les nappes de silence.

Attentif à ce qui passe alors que rien ne semble advenir, minutieux jusqu'à l'obsession (ce n'est pas un hasard si Wittgenstein, dont s'inspire le titre du second volume, est une de ses références philosophiques privilégiées), Claude Royet-Journoud a le souci du « mystère de la littéralité » (comme il le dit dans un entretien avec Emmanuel Hocquard paru dans le no 87 d'Action poétique qui lui fut consacré). Ce souci de la littéralité, il le partage avec les poètes « objectivistes » américains tels Louis Zukofsky ou George Oppen, qu'il traduisit pour l'anthologie[...]

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