TRESMONTANT CLAUDE (1925-1997)
Une ambition intellectuelle forte, une quarantaine d'ouvrages, la reconnaissance de l'Institut qui le reçoit en 1977 comme membre correspondant, l'intérêt de ses étudiants de la Sorbonne, l'enthousiasme d'un certain nombre de « fervents », qui trouvent dans son œuvre la grande synthèse philosophique et exégétique de notre temps : tout cela est réel, mais, sans faire la part du caractère (l'homme était ombrageux) et celle des circonstances, on constatera que tout cela n'a pas ébranlé un certain mur d'indifférence ou de scepticisme, dont Claude Tresmontant a souffert.
Dès le point de départ, et tout au long du parcours, quelques affirmations centrales, inlassablement répétées, inscrivent son œuvre dans le cadre du débat sur la philosophie chrétienne. Dès les premiers siècles de notre ère, selon Tresmontant, le contact avec la philosophie grecque permet au christianisme de prendre conscience de ses exigences métaphysiques. Les étapes de ce travail de discernement sont restituées dans sa thèse de doctorat ès lettres de 1961 sur La Métaphysique du christianisme et la naissance de la philosophie chrétienne, puis dans La Métaphysique du christianisme et la crise du XIIIe siècle (1964).
En 1956, son Introduction à la pensée de Teilhard de Chardin avait montré, dans cette pensée encore mal acceptée par l'Église, la synthèse de la théologie, de la philosophie et des sciences. Dix ans plus tard, dans Comment se pose aujourd'hui le problème de l'existence de Dieu (1966), Tresmontant entend lui-même établir que la science la plus moderne appuie la métaphysique chrétienne – ou hébraïque – de la création. Mais une filiation et des choix décisifs se manifestent aussi dans la publication de la Correspondance philosophique de Blondel et de Laberthonnière (1961), ces deux grands protagonistes de la crise moderniste, qui sera également le thème et le titre d'un livre publié par notre auteur en 1979. Si Tresmontant n'approuve pas la lecture négative que Laberthonnière fait de Thomas d'Aquin, il accentue cependant par d'autres voies le refus de la pensée grecque qui sous-tendait cette lecture, en s'attaquant en particulier à tout ce qui, hier ou aujourd'hui, se réclame plus ou moins directement du gnosticisme ou du néoplatonisme. D'un point de vue plus positif, Tresmontant estime que la métaphysique de la création est suspendue à une théologie de la charité et de la grâce que, malgré leurs dissentiments intellectuels, Blondel et Laberthonnière professent l'un et l'autre.
Le versant exégétique de l'œuvre de Tresmontant se développe surtout dans la seconde période de sa vie. Mais, déjà en 1953, l'Essai sur la pensée hébraïque ouvrait une piste originale de recherches sur la création, l'anthropologie, le statut de l'intelligence. Le livre est publié dans une collection d'exégèse et les éditeurs insistent sur la hardiesse d'un « regard neuf et dégagé », mais aussi sur la « docilité aux réalités et aux textes ». Cette modestie ne se retrouve pas dans Le Christ hébreu (1983), qui promet de réaliser en exégèse biblique une révolution scientifique de grande envergure. Aux hypothèses communément admises depuis l'introduction de la critique historique en exégèse, selon lui non fondées, Tresmontant veut substituer des hypothèses très nouvelles sur la langue originelle des Évangiles (l'hébreu) et sur leur datation, fort rapprochée des événements. Signalons la forte riposte de Pierre Grelot : Évangiles et tradition apostolique. Réflexions sur un certain « Christ hébreu » (1984). Sans trancher des questions qui dépassent notre compétence, il faut bien exprimer un certain étonnement. En rayant d'un trait de plume le rôle des communautés chrétiennes dans la genèse des Évangiles et en rapportant ceux-ci[...]
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Écrit par
- Pierre COLIN : doyen honoraire de la faculté de philosophie, Institut catholique de Paris
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