VIGÉE CLAUDE (1921-2020)
Écrivain, poète, auteur de textes autobiographiques et d'essais, traducteur, Claude Vigée fut un passeur d'humanité. Nourrie de la tradition juive, son œuvre fut, contre les nihilismes du xxe siècle, une arme de lutte et un art de la joie. « Vigée » est le pseudonyme sous lequel le résistant publiera illégalement ses premiers poèmes (La Lutte avec l'ange) dans la revue Poésie 42,créée par Pierre Seghers ;calqué sur le serment d'Isaïe (49, 18) – « 'Hay Ani ! », « Vie j'ai ! » –, ce nom emblématique assigne à l'écrivain une responsabilité vitale.
Claude André Strauss est né le 3 janvier 1921 à Bischwiller (Bas-Rhin) dans une famille juive établie en Alsace depuis plus de trois siècles. Son récit autobiographique (Un panier de houblon, I, La Verte Enfance du monde, 1994) raconte l'enfance campagnarde et picaresque du petit-fils de drapiers et de marchands de céréales, durant l'entre-deux-guerres ; le dialecte bas-alémanique fut la langue de la première intimité (Les Orties noires, 1984 ; Le Feu d'une nuit d'hiver, 1989).
Expulsé d'Alsace sous l'occupation nazie (Un panier de houblon, II, L'Arrachement, 1995), après des études commencées à Caen en novembre 1939, l'étudiant en médecine se réfugie à Pau, puis à Toulouse où il participe au mouvement derésistance Armée juive. En novembre 1942, il émigre aux États-Unis (La Lune d'hiver, 1970) et se marie avec sa cousine Evelyne dont il aura deux enfants, Claudine et Daniel. Après un doctorat en langue et littérature romanes (1948), il devient professeur à l'université d’État de l’Ohio, au Wellesley College, puis à l'université Brandeis près de Boston. Il publie ses premiers poèmes (La Lutte avec l'ange, 1950 ; La Corne du Grand Pardon, 1954) et inaugure, grâce à Albert Camus, ce qu’il appellera son « judan », mosaïque de prose et poésie (L’Été indien, 1957).
À l'exil américain s'oppose l'installation enthousiaste à Jérusalem en 1960 (Le Poème du Retour, 1960 ; Moisson de Canaan, 1967). De sa Lucarne aux étoiles (1998), l'essayiste littéraire, professeur à l'université hébraïque de Jérusalem, se dresse contre la fascination satanique du néant (LesArtistes de la faim,1960 ; Révolte et louanges, 1962 ; L'Art et le démonique, 1978). Le poète du Soleil sous la mer (1972) et de la Délivrance du souffle (1977) apprend l'hébreu et, au contact de ses amis (Léon Askénazi, dit Manitou, Martin Buber, Gershom Scholem, André Neher), approfondit l'étude de la Bible et de la Cabale : L’Extase et l’errance (1982), Le Parfum et la cendre (1984), La Manne et la rosée (1986), La Faille du regard (1987), Dans le silence de l'Aleph (1992), Treize inconnus de la Bible (1996). Le polyglotte traduit des poèmes de T. S. Eliot, Shirley Kaufman, Daniel Seter, David Rokéah, Yvan Goll, Rainer Maria Rilke.
Après quarante années passées en Israël (Vivre à Jérusalem, 1985), Claude Vigée s'établit à Paris en 2001, perpétuant son « judan » : Le Passage du vivant (2001), Dans le creuset du vent (2003), Danser vers l'abîme (2004). La vieillesse est marquée par les décès de son épouse en 2007 (Chants de l’absence, 2007) et de son fils Daniel en 2013. Claude Vigée meurt à Paris, le 2 octobre 2020.
Distingués par de nombreux prix français (grand prix national de poésie, 2013) et étrangers, les poèmes (Mon heure sur la Terre, 1936-2008), proses et essais (Pentecôte à Bethléem, 1960-1987) de Claude Vigée sont un vivifiant « joui-dire », une Pâque de la parole (1983) au présent, une quête de Terre promise. Le poète prophète puise son souffle prodigue de vie, dans les figures bibliques de Jacob, Moïse et Abraham. « Buisson ardent »,cette parole à l'écoute fait danserla lutte avec[...]
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Écrit par
- Yves LECLAIR : professeur agrégé, docteur en littérature française, écrivain
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